Propos mal placés [Severus] [TERMINÉ]

Le soleil s'était depuis peu levé et Poudlard sortait doucement de sa léthargie. Les premiers bruits du jour se faisaient entendre, timides, dans le silence paisible de l'aube. Thaddeus était sorti tôt, comme de coutume, pour aller courir dans le Parc encore somnolent. Cette habitude, il l'avait prise des années plus tôt, lorsqu'il avait découvert la course à pied à la télévision moldue. Depuis, impossible de s'en défaire. Malgré sa haine féroce de tout ce qui approchait de près ou de loin de cet univers inférieur, il se donnait bonne conscience en pensant que n'importe quel sorcier aurait également pu en faire autant. Après tout, les Moldus avaient toujours plusieurs siècles de retard : s'ils s'attribuaient le mérite de cette découverte, cela prouvait d'autant plus leur insipidité et leur orgueil déplacé. Lorsqu'il voulut regagner la Salle Commune des Serpentard, il croisa quelques élèves endormis qui se traînaient péniblement vers la Grande Salle pour y prendre un solide petit-déjeuner. Certains le regardèrent étrangement, beaucoup ricanèrent. Il se dit qu'il ne sortirait plus aussi tard, si c'était pour attirer l'attention sur lui de la sorte. Il ne supportait pas ces regards, qu'il imaginait perfides et moqueurs. Vous n'avez rien d'autre à faire que de juger ce dont vous ne comprenez pas les différences?
Excédé, il se hâta de rejoindre sa Salle Commune. En entrant, il traversa la pièce pour se rendre dans le dortoir des garçons et vit Severus du coin de l'œil, le nez plongé dans ses bouquins. Il s'arrêta brusquement et fixa son ami. Un sourire étira ses lèvres. Encore des potions... c'est ce qui s'appelle une obsession!
Se sentant certainement observé, Severus leva les yeux et Thaddeus lui fit un léger signe de la tête pour le saluer. Le jeune homme semblait aussi étonné que les élèves qu'il avait croisés.

J'étais sorti... courir. Enfin, tu sais.

Non, en fait il ne savait pas. Thaddeus prenait soin de garder un minimum de distance, comme toujours, même avec celui qu'il considérait comme son meilleur ami. Il s'approcha distraitement de la table où était installé ce dernier et se mit à jouer avec une Noise de bronze qu'on avait oublié sur une chaise.

J'ai croisé Potter tout à l'heure. Plus fier qu'un hippogriffe! J'ai entendu dire qu'il s'était passé quelque chose... Avec Evans...

La tête de Severus se décomposa tout à coup, et Thaddeus fut immédiatement pris de remords. Encore raté une bonne occasion de te taire j'ai l'impression!

Severus s’était levé à l’aube, incapable de dormir plus longtemps. Son sommeil avait été agité et sa tête fourmillait déjà de pensées au réveil. Il s’était extirpé du lit en silence, pour ne pas réveiller ses camarades de Maison, ne remarquant pas qu’un lit était déjà vide…

Il avait voulu aller prendre l’air mais il se voyait mal sortir à ce moment de la journée, même si le silence régnant dans le Château aurait été plus qu’agréable pour lui qui détestait les bruits provoqués par les autres élèves dès que la sonnerie des cours retentissait. Il se résolut donc à prendre son cahier et ses livres de potions pour continuer ses recherches de fabrication d’une potion. Il s’installa à une table près de l’âtre éteint et se mit à travailler. Autant combler le temps qu’il lui restait avant les cours en faisant quelque chose d’utile.

Quelques minutes passèrent et petit à petit, il entendit des bruits se manifester dans le dortoir des garçons, signe que ses camardes se levaient. Ils n’allaient pas tarder à aller manger, juste le temps de s’habiller et c’était parti. Severus n’avait pas très faim, suite à la mauvaise nuit qu’il avait passée, aussi décida-t-il de ne pas se déplacer jusqu’à la Grande Salle. Inutile d’y aller pour rien. Si c’était en plus pour subir les cris provoqués par les autres élèves, non merci ! Il s’installa plus profondément dans sa chaise et se remit à réfléchir sur sa potion.

Perdu dans ses pensées, il n’entendit pas un élève rentrer dans la Salle Commune. Il ne prêtait pas beaucoup d’attention aux allées et venues de ses camarades aussi ne leva-t-il pas la tête tout de suite. Ce n’est que lorsqu’il sentit un regard sur lui qu’il daigna lever les yeux en fronçant les sourcils. Son visage s’adoucit néanmoins légèrement quand il constata de qui il s’agissait. Il répondit à la salutation silencieuse et n’eut pas un geste pendant que Thaddeus s’approchait de lui pour venir jouer avec une Noise de bronze oubliée. Il était un peu surpris de ce que son ami venait de lui dire. Depuis quand courait-il ? Severus ne savait rien de cette occupation, Thaddeus ne lui en ayant jamais parlé… Mais il n’eut pas le temps de s’attarder sur ce fait car le jeune homme enchaîna directement avec autre chose.

Immédiatement, son visage blanchit et ses traits se durcirent. Sa respiration se bloqua pendant un instant et il la relâcha lourdement, dans l’atmosphère qui s’était tendue dès que Thaddeus avait abordé le sujet de Potter et de Lily. Bien sûr qu’il savait. Lily lui avait tout raconté. Et il avait su se calmer. Enfin, elle avait su le calmer. Néanmoins, le souvenir était toujours très présent et ces deux noms avaient suffi à lui rejeter toute l’histoire dans la figure. Il fut submergé à nouveau de la même vague de haine qu’il avait ressentie le jour précédent. Ainsi Potter faisait le fier ! Il allait lui faire ravaler sa fierté d’une manière qui n’allait sûrement pas lui plaire.

Tout à sa haine, il n’avait pas remarqué que Thaddeus le fixait avec un air étrange. Il s’éclaircit la gorge avant de parler. Sa voix était rauque et son ton ne présageait rien de bon.

Il n’aura bientôt plus l’occasion de faire le fier, crois-moi !

Il respira bruyamment et ses lèvres s’étirèrent pour ne plus former qu’une mince ligne blanche. Il se leva dans l’espoir d’extérioriser sa colère en marchant dans la Salle Commune.

Potter n’est qu’un arrogant sans cervelle qui croit que tout lui est acquis ! Je vais lui faire regretter ce qu’il a fait ! Et il s’en souviendra !

La remarque de Thaddeus avait indéniablement touché Severus. Il se mordit la lèvre inférieure en apercevant le regard plein de haine de son ami. Remuer le couteau dans la plaie de la sorte n'était peut-être pas un éclair de génie en fin de compte... D'un autre côté, si sa remarque pouvait attirer des ennuis à ce cher Potter, il n'avait pas à la regretter. Il serait même le premier aux côtés de Severus en cas de besoin! Il s'imagina la scène en détail et un rictus de cruauté se dessina sur son visage. Rien ne pourrait lui faire plus plaisir que de remettre ce jeune prétentieux à sa place. Le Gryffondor les narguait vraiment depuis trop longtemps. Severus leva les yeux et évoqua une vengeance, tendu et furieux. Thaddeus joua l'indifférent, souhaitant que son ami poursuive dans ses idées. Mais au fond de ses yeux, une flamme de mauvaise augure s'était allumée, et son crâne bourdonnait sous l'effet d'un trop plein de pensées. Il n'avait qu'une envie : le prendre au mot et aller immédiatement faire souffrir Potter. Severus se leva brusquement et continua sa litanie d'une voix rauque tout en faisant le tour de la Salle Commune. Thaddeus exultait. Enfin son ami se décidait à accomplir ce qu'il souhaitait depuis tellement longtemps. Ce que tous deux souhaitaient, mais pas pour les mêmes raisons. Il fit mine de se perdre dans la contemplation de la Noise et lança d'un ton neutre :

Tu as besoin d'aide?

Le jeune homme s'arrêta et se retourna vers lui. Thaddeus le fixa sans ciller. Il crut comprendre à ses traits qu'il semblait prêt à se laisser tenter. Le vrai Severus était de retour, depuis un instant. Pas celui qui était constamment aux pieds de cette sale rouquine et qui accourait vers elle comme un petit chien pour un oui ou pour un non, mais l'unique, le vrai Severus Snape, Serpentard digne de ce nom. Thaddeus pensa qu'il était largement temps d'éloigner cette Gryffondor. Elle prenait entièrement possession de Severus, ce qui avait le mérite de l'agacer au plus haut point. Son tour viendrait donc, mais pas tout de suite. D'abord ils s'occuperaient du Maraudeur, voire de tout son petit groupe d'orgueilleux.

Après tout, il faut bien qu'il comprenne que les gens ne sont pas à ses pieds. Personnellement je n'aurais pas hésité après ce qu'il a fait hier. Sauf si la fille n'en valait pas le coup, évidemment...

Il prenait un malin plaisir à le provoquer calmement, comme si tout cela ne lui importait pas le moins du monde. Comme il était dans son camp, il savait que son ami ne pouvait le détester pour ce qu'il disait, aussi en avait-il profité pour mettre l'accent sur Evans. En remettant en question sa valeur aux yeux de Severus, il forçait celui-ci à réagir. Allez Severus, tu en as envie et tu le sais...
Autour d'eux, les Serpentard emplissaient peu à peu la Salle Commune. Planifier quoi que ce soit de ce genre n'était dès lors pas la meilleure des idées. Thaddeus regarda autour de lui et reporta son attention sur Severus. Il semblait partagé. Le choix est vite fait pourtant! C'est réagir ou s'écraser. Et s'écraser, pour un Serpentard, c'est inconcevable! Qu'est-ce que tu attends Severus?

Il s’immobilisa un instant lorsque Thaddeus lui proposa son aide, se retournant pour fixer son ami de son regard indéchiffrable. Pendant quelques secondes, il imagina l’effet que cela devait faire d’aller voir Potter pour lui régler son compte. Mais sa raison le rattrapa vite. Ce n’était pas le moment. S’il voulait s’occuper de lui correctement, il devait planifier les choses, pour ne rien laisser au hasard. Ce n’était pas son genre d’agir sous l’impétuosité du moment. Il avait l’habitude de s’arranger pour que tout soit parfait. Et sa revanche envers le Gryffondor serait parfaite. Elle devait l’être. Car ce qu’il avait fait à Lily était tout simplement intolérable. Et il était persuadé que ce que Potter avait fait à Lily était destiné en partie à l’atteindre lui. Il enrageait. Il avait bien réussi son coup. Mais lui ferait preuve d’encore plus de maîtrise. Et de cruauté. Il n’était pas un Serpentard pour rien.

Thaddeus continua à parler et Severus ne l’écoutait que d’une oreille jusqu’à ce qu’il entende la fin de sa phrase. Il se tourna furieusement vers l’auteur de ces paroles et le fusilla du regard. Comment osait-il ? Sa mâchoire se contracta et il serra les poings. Il expira lentement et bruyamment, essayant d’évacuer la pression intérieure qui tendait son corps comme un arc. Il n’avait pas à en vouloir à Thaddeus. Tout reposait sur Potter. La flèche était entièrement et uniquement dirigée vers ce rouge et or arrogant. Et il savait qu’il pouvait compter sur Thaddeus. Il était son ami avant tout et un Serpentard comme lui. Ils s’étaient plusieurs fois sortis du pétrin l’un l’autre et il avait sa confiance, comme lui avait la sienne.

Les minutes passaient, et les élèves remplissaient à présent la Salle Commune. Leur passage perturbait Severus et il avait du mal à réfléchir, comme à chaque fois qu’il y avait trop de monde dans son univers. Il aimait le calme. Et là, il en manquait cruellement. La colère sourdait toujours en lui et mieux valait que personne ne vienne l’énerver en ce moment. Il était dans le passage des élèves aussi s’écarta-t-il rapidement, bousculant quelques élèves qui le fixèrent d’un air mauvais. Ceux-ci se détournèrent bien vite lorsqu’il les fusilla du regard. Ses yeux noirs brillaient et semblaient incandescents.

Sauf si elle ne valait pas le coup…

Il ricana d’un air mauvais alors qu’un pli lui barrait le front. Ces paroles raisonnaient en lui, se répercutant dans sa tête, dans sa cage thoracique, se frottant au moindre de ses muscles et de ses nerfs…

Tu sais que ce n’est pas le cas.

Il s’interrompit brutalement. Il ne voulait pas parler de ça avec lui. Même s’il était son ami. Il était comme les autres. Parce qu’il était Serpentard, il ne comprenait pas comment il pouvait être ami avec une Gryffondor. Ami. Depuis la rentrée, les choses avaient changé. Il savait qu’il voulait plus. Mais ce qu’il ne savait pas, c’était comment s’y prendre. Et surtout si elle voulait que les choses changent. Il avait constamment l’impression de marcher sur un fil. Et souvent il croyait qu’il allait tomber. Avant qu’elle ne le rattrape. A chaque fois elle était là. Et là, c’était elle qui avait besoin d’aide. Pour contrer Potter. Il ne la laisserait pas tomber. Elle ne méritait pas ça.

La Salle Commune s’était vidée, les élèves étant tous partis dans la Grande Salle pour aller prendre leur petit-déjeuner. Le calme était revenu et Severus se sentait mieux. Thaddeus était resté avec lui et lui jetait des coups d’œil de temps en temps, observant ses réactions et ses expressions comme s’il essayait de capter la moindre de ses pensées.

On n’a pas cours les deux dernières heures de l’après-midi. On pourrait aller trouver Potter. Qu’en dis-tu ?

Thaddeus sourit et Severus hocha légèrement la tête à ses paroles. Il était temps, oui. Potter ne le narguait que depuis trop longtemps. Il n’était plus ce jeune garçon qui avait peur de montrer qui il était. Le temps l’avait forgé. La solitude l’avait construit. Son amitié avec Lily l’avait illuminé de l’intérieur. Et Potter était une ombre, un pan de brume, une pièce du jeu d’échecs qui méritait d’être éliminée pour la survie des autres. Il n’avait pas sa place dans son monde. Qu’il reste avec ses amis Maraudeurs et laisse le monde en paix. Il n’était que mépris et dédain. Et il n’apportait rien de bon à Lily. Il ferma les yeux un instant en pensant à elle. Personne ne pouvait comprendre à quel point elle comptait pour lui. Personne.

Il se replongea dans ses bouquins, ne voulant pas laisser une quelconque émotion filtrer de son visage, de son être. Fuir. Toujours. Severus pesta. Thaddeus était son ami. Et tout ce qu’il trouvait à faire était de lui cacher des choses. L’amitié n’exigeait pas des confidences totales, certes. Mais pourtant Severus se sentait mal à l’aise à cause de cela. Il vit du coin de l’œil son ami partir dans le dortoir. Il soupira en essayant de penser à autre chose. Mais lorsqu’il se rendit compte que ses yeux parcouraient la même ligne depuis deux minutes, il grogna. Il avait de plus en plus de mal à se concentrer en ce moment. Et il en connaissait la raison. Ou plutôt les raisons. Toutes ces querelles Gryffondor vs Serpentard avaient pris une ampleur inégalée cette année, créant même des tensions entre membres d’une même Maison. Il éprouvait des sentiments de plus en plus forts envers Lily et ne savait où ils allaient. Et il avait l’impression que toutes ses convictions partaient en miettes.

Sans qu’il s’en rende compte, Thaddeus était revenu du dortoir. Il se racla la gorge pour signaler sa présence. Severus releva la tête pour le fixer, ses pensées toujours tournées ailleurs… Il fronça un moment les sourcils et regarda l’horloge de la Salle Commune. Il était déjà l’heure d’aller en cours ! Il se leva et ferma ses livres qu’il glissa dans son sac sans un mot. Il rejoignit son ami et ils sortirent tous deux de l’antre des Serpentard.

Ils marchèrent en silence en traversant les cachots, calquant leurs pas l’un sur l’autre. Leurs uniformes noirs et leurs cravates vert et argent donnaient l’impression qu’ils étaient identiques. Mais dès qu’on tombait sur leurs visages, cette illusion s’effondrait vite. Alors que l’un était blond, l’autre était noir. Alors que l’un semblait fier de lui, l’autre avait le visage caché par des mèches de cheveux. Leurs physiques étaient différents mais leurs idéaux les rapprochaient. Severus avait toujours pensé que c’était dans la Maison Serpentard que les élèves se ressemblaient le plus. Il avait toujours trouvé cela positif. Au moins, leurs idées communes permettaient une relative bonne entente.

Il se souvint alors de ce que lui avait dit Thaddeus quelques minutes plus tôt, dans la Salle Commune. Se tournant vers lui, il demanda :

Alors comme ça… tu cours ?

Il hésita un instant. Si son ami ne lui en avait pas parlé, c’était sûrement pour une raison. Mais bon, se dit-il, si le sujet ne lui plaît pas, il en changera… Il continua donc sur sa lancée.

Depuis quand tu fais ça ?

Il n’y avait aucune arrière-pensée derrière ses propos. Il avait juste envie de savoir d’où cela lui venait. Ce n’était pas courant à Poudlard, que quelqu’un fasse de la course à pied. Et il se demandait comment son ami en était venu à courir régulièrement. Le plus bizarre était qu’il ne s’en était pas aperçu avant. Est-ce que Thaddeus s’en cachait ? Et si oui pourquoi ? Des tonnes de question tourbillonnaient maintenant dans sa tête et sans qu’il s’en aperçoive, ce sujet l’empêchait de penser à Lily, ce qui n’était pas plus mal…

Les couloirs humides des cachots défilaient lentement devant leurs yeux. La lumière vacillante des torches accrochées au murs captait au passage des fragments de leurs visages ou des pans de leurs robes sombres, tandis que leurs pieds foulaient le sol d'un pas mesuré, cent fois partagé. Le silence qui régnait entre eux était une sorte de pacte, un accord tacite que chacun comprenait et respectait. Les mots n'avaient aucun intérêt. Aucune consistance. Voilà ce qu'était leur relation. Voilà ce dont tous deux avaient besoin. Rien de moins, rien de plus. L'esprit de Thaddeus, encouragé par cette atmosphère paisible, familière, dérivait où bon lui semblait. Potter, cet imbécile de Potter, qui allait bientôt comprendre combien il n'était pas en sécurité à Poudlard. Severus et Evans. Le bal, qui se rapprochait inexorablement. Le prochain match de Quidditch...
La question de Severus claqua dans la pénombre des cachots. Thaddeus tourna vivement la tête. Il avait espéré que sa remarque était passée inaperçue, mais de toute évidence son ami l'avait conservé dans un recoin de son esprit. Il ne put empêcher les muscles de ses bras de se contracter, sa nuque de se raidir face à un sujet si délicat, qu'il se plaisait habituellement à cacher. Il sentait une gêne insupportable l'empêcher de contrôler la situation, et cela le frustrait tout particulièrement. Sans s'en apercevoir, il accéléra le pas. Mais fuir n'était pas une solution. Pas pour lui.

Ça fait... un certain temps.

Il soupira. Qu'il était stupide... Severus était un des rares amis qu'il possédait, il ne le jugerait pas. Il ne l'avait jamais fait. Et cela lui arrachait de l'admiration, bien souvent. Les préjugés le répugnaient, les médisances n'étaient à ses yeux que prétention, suffisance.
Aussi, ne pas faire confiance à quelqu'un comme lui relevait de la folie.

J'ai fait des erreurs, quand j'étais plus jeune.

Son ton était dur, son regard s'était assombri. Réveiller de vieux démons n'avait rien de plaisant à ses yeux. Déterrer des cadavres. Dépoussiérer. Se laisser torturer.

J'ai côtoyé le monde moldu. Je ne comprenais pas qui ils étaient, poursuivit-il, lugubre.
Bref, cette habitude m'est restée. Étrangement, courir me fait du bien. Qui peut comprendre cela...

Son ton était presque menaçant à présent. Mais envers lui-même. Envers ce qu'il avait été et ce qu'il avait cru. Certains auraient appelé cela une erreur de jeunesse. Lui ne souhaitait qu'une chose, oublier cette période souillée, enterrer, encore et encore, sous la poussière, la terre, les cendres. Tirer un trait. Ils avaient déjà atteint le Hall d'entrée où se mêlaient des dizaines élèves, toutes Maisons confondues. Certains se dirigeaient d'un pas vif vers la Grande Salle, d'autres rampaient presque vers leurs salles de cours. Les deux Serpents se mêlèrent à contre-cœur à la foule pour rejoindre la classe de métamorphose. Le tumulte alentour complétait le silence qui avait repris sa place entre eux. Ils étaient redevenus les deux ombres mouvantes, rongées par un mutisme peu commun, grisées par leurs projets et leurs rêveries. Dans un accès d'audace -ou de délire, il n'aurait su le dire- Thaddeus songea que peut-être il devrait briser ce mutisme, franchir les limites, et parler à son ami... d'Evans.
Il manqua d'éclater de rire. Décidément, qu'avait-il ce jour-là ? Il s'amusa de sa propre incohérence. Evans !
S'il continuait sur cette lancée, toute sa réputation était vouée à dépérir.

Il sentit la gêne de Thaddeus quand ce dernier accentua la cadence. Prudent, il n’osa rien dire, se contentant de suivre le rythme de son ami. Visiblement, le sujet ne lui plaisait pas énormément. Aussi fut-il légèrement surpris au moment où il lâcha quelques mots. Fidèle à son habitude, il ne laissa pour autant rien voir de cet étonnement et continua de marcher tout en l’écoutant.

Néanmoins, les paroles qu’il prononça peu après eurent un drôle d’effet sur lui. Je ne comprenais pas qui ils étaient. Cette phrase tourna un instant dans sa tête. Le blessant. Le torturant. Le meurtrissant. Comme dans un flash, il se vit, enfant, dans sa chambre, alors que des bruits de disputes se faisaient entendre entre son père et sa mère. Sa mère, sorcière. Son père, moldu. Moldu. Violent et alcoolique, voilà les deux mots que Severus avait retenus pour caractériser son père. Et sa mère qui ne disait rien. Il s’était maudit d’être trop petit pour pouvoir arrêter son père. Et puis, il y avait eu Lily. Et les instants passés chez lui devinrent nettement plus rares. Combien de fois ne l’avait-il pas épiée derrière un buisson ou perché dans un arbre ? Elle aussi était moldue. Mais Severus n’y pensait pas, n’y pensait plus, dès qu’il la voyait. Et puis, à dix ans, quelle importance ? C’était l’entrée à Poudlard qui avait tout changé, voulant sceller leurs destins, comme un oracle tout puissant, presque céleste, alors qu’ils n’avaient rien demandé...

Et là Thaddeus venait de remuer le couteau dans la plaie. Severus se demanda s’il l’avait fait exprès, sachant son amitié avec Lily. Il lui jeta un regard en biais. Peut-être pas. Un deuxième regard le lui confirma. En cet instant, Thaddeus était trop en proie avec ses propres démons du passé pour accorder une quelconque importance aux siens. Malgré tout, la remarque l’avait blessé. Et encore une fois, à nouveau, il se remit en question et il remit en question son amitié avec Lily. Encore et toujours.

Il soupira. Pourquoi les choses étaient-elles toujours si compliquées ? Ils atteignirent le Hall d’entrée et n’accordèrent que peu d’importance aux autres élèves, se dirigeant vers la salle de Métamorphose. D’un ton juste modéré pour parvenir aux oreilles de Thaddeus dans tout ce brouhaha, Severus répondit :

Je ne vois pas en quoi cela pose problème. C’est un défouloir comme un autre...

Ils finirent par atteindre la salle de classe et s’adossèrent tous deux au mur en attendant leur professeur. Tournés l’un vers l’autre, ils empêchaient par ce moyen aux autres de venir les déranger. Quelques autres élèves étaient déjà arrivés et ils allaient bientôt tous être là.

Severus soupira. Le cours promettait d’être encore passionnant... Ce n’était pas qu’il n’aimait pas la métamorphose mais il fallait bien dire qu’il n’était pas très doué en ce domaine et il ne supportait pas cela. Il avait l’impression d’être faible et méprisable à souhait quand il ne réussissait pas un exercice. Merlin qu’il détestait cela !

Les deux Serpentards atteignirent enfin leur salle de classe, devant laquelle ils s'adossèrent en silence, chacun en proie à ses propres démons. Ils se tournèrent l'un vers l'autre, de telle sorte que personne n'oserait venir les déranger. Cependant, pas un ne parlait. Accord tacite propre aux Serpentards... Thaddeus fixait la pierre froide, les yeux dans le vide, tandis que Severus s'empêtrait dans ses propres pensées. Le besoin de parler pour ne rien dire ne se faisait pas ressentir, ni chez l'un ni chez l'autre. Une simple compagnie leur suffisait amplement. Thaddeus observa son ami à la dérobée et un sentiment de gratitude l'effleura furtivement. Avec lui, pas besoin de longs discours ni de justifications compliquées. Des rapports simples, clairs et à la fois solides. Il ne pouvait rêver mieux...

La porte de la classe s'ouvrit dans un grincement désagréable, et la voix de McGonagall leur parvint de l'intérieur, les invitant tous à entrer. Thaddeus soupira. Encore un cours de métamorphose... Ce n'était pas qu'il n'appréciait pas cette matière, loin de là, mais la vieille McGo lui tapait sur les nerfs. Pincée, sévère, toujours tirée à quatre épingles, elle prenait sa matière beaucoup trop au sérieux, noyait ses élèves de devoirs sous prétexte que la métamorphose était la forme la plus élégante de la magie et enlevait des points, même à sa propre Maison -surtout à sa propre Maison-, à la pelle. Et puis, tout ce cérémonieux, toute cette distance froide qu'elle s'appliquait à conserver avec ses élèves, surtout avec les Serpentards bien évidemment, c'était particulièrement agaçant. Sans oublier qu'elle était la directrice de ces idiots de Gryffys. Toutes ces tares dans une seule personne... cela relevait de l'outrage ! Thaddeus s'écarta du mur et se dirigea vers la porte, aux côtés de Severus. Une petite bouffée d'air frais. Et ils entrèrent dans la salle.