Assise, dos calé contre le flanc d'un arbre [Severus] [TERMINÉ]

Lily Evans observait d'un coin de l'oeil l'agitation régnant autour du lac. Le mois de septembre débutait à peine et pourtant, la chaleur de l'été persistait avec obstination.
Les ombres des branches déchiquettaient le visage cireux de Lily en de multiples endroits, la couvrant d'une vaine fraîcheur, l'abritant partiellement des rayons excessivement présents de l'astre Solaire. Elle aurait pu rejoindre les étudiants autour de l'eau, s'asperger de ce liquide tiède afin d'effacer toute trace de sueur de son front. Seulement, elle attendait quelqu'un. Son meilleur ami. Depuis la rentrée, ils ne s'étaient pas beaucoup approchés, tous deux entrainés par leurs amis respectifs des deux maisons opposées. Mais Severus lui manquait terriblement. C'était comme si il avait toujours là, une part d'elle qu'elle ne pouvait réfuter. De ne pas pouvoir le voir durant une période plus ou moins longue la rendait nerveuse. Tout d'abord parce qu'il mijotait de drôles de choses avec sa bande d'amis plus étranges les uns que les autres et puis parce qu'elle aimait cueillir ses sourires, son absence la troublait.

Lily amena ses genoux contre sa poitrine afin d'y déposer sa joue brûlante. La jeune fille patientait scrutant l'horizon, tentant de dénicher une esquisse de silhouette ressemblant à son ami. Le Soleil l'irradiait, suffocant et elle trouva stupide d'avoir choisi ce lieu pour le retrouver. Elle aurait fondu avant qu'il ne daigne se montrer.
Le choix du rendez vous n'était pas innocent cependant. Plus loin elle se trouvait du terrain de quiddicht, plus loin était James Potter. Elle n'était pas d'humeur à tempérer son arrogance et son mépris pour Severus. Elle voulait juste passer un moment avec ce dernier sans se prendre le chignon comme avant. Si cela était possible. Tout semblait emprunt de complications depuis quelques temps. Severus agissait bizzarement, devenait parfois incohérent. Lily était inquiéte...

Relevant les paupières qu'elle avait à demi closes, elle le vit s'approchant d'elle, le visage enfoui dans ses longs cheveux noirs. Un début de rictus plissait la commissure de ses lèves ce qui réchauffa en quelques secondes le coeur de la jeune fille à la crinière rousse. Elle se sentit plus légère immédiatement. Il semblait bien aller. Le poid de son angoisse sembla diminuer alors qu'il prit place à ses côtés. Son odeur était particulière un mélange indescriptible dont il devait le mérite à sa fréquentation régulière avec la classe de potions.

Salut Sev'! Ton cours s'est bien déroulé?

Severus attendait la sonnerie de la fin du cours avec impatience. Ce cours de botanique n’en finissait pas ! Ils avaient droit aujourd’hui à un cours très théorique sur l’Aconit, une plante extrêmement dangereuse. Avant de faire quoi que ce soit avec cette plante, le professeur Chourave voulait qu’ils en connaissent toutes les propriétés si bien qu’ils n’avaient encore rien fait de « pratique », ce qui désespérait Severus. Il n’aspirait qu’à pouvoir analyser le végétal par lui-même afin de découvrir toutes les possibilités qu’elle offrait pour les potions… Mais pour le moment, il devait se contenter d’écouter les explications de son professeur, alors qu’il connaissait déjà presque tout sur cette plante…

Et en plus il faisait une de ces chaleurs dans les serres ! Il avait l’impression de cuire et transpirait beaucoup, comme la plupart de ses camarades Serpentard mais aussi la plupart des Serdaigle. Il s’agissait en effet d’un cours « double » avec les élèves de la maison du professeur Flitwick, élèves que Severus ne trouvait pas trop ennuyants, ils pouvaient d’ailleurs faire preuve d’intelligence de temps en temps et surtout, ils avaient la bonne idée de ne pas le provoquer, ce qui leur était profitable.

La cloche résonna enfin à travers tout le château, et le son se propagea au-delà des pelouses entourant l’immense bâtiment pour signaler la fin du cours. En dix secondes, il fut hors des serres. L’air chaud lui brûla les poumons et il grimaça d’inconfort. Sans plus attendre, il se dirigea vers le Parc de Poudlard d’un pas vif. Alors qu’il marchait, un sourire vint flotter sur son visage. Lily l’attendait. Il allait enfin passer un peu de temps avec elle. Depuis la rentrée, ils ne s’étaient pas beaucoup vus, chacun prit par ses cours, sa maison, ses « amis ». Il avait été obligé de passer presque tout son temps libre avec les autres Serpentard, qui l’auraient soupçonné de les trahir s’ils l’avaient vu avec Lily. Severus savait qu’à chaque rentrée, c’était la même chose. Il laissait toujours s’écouler quelques jours avant de la voir, restant avec les autres élèves de sa maison afin de ne pas être à l’origine de conflits au début de l’année. Même si cela le faisait souffrir de ne pas pouvoir la voir. Mais enfin aujourd’hui, il allait être avec elle et son cœur se réchauffait à cette simple idée.

Il arriva enfin près de l’arbre où elle était assise. Elle semblait en nage comme lui et il regretta de s’être donné rendez-vous à cet endroit. Près du Lac, elle aurait pu se rafraîchir en son absence. Il eut un rictus et elle lui sourit. Il s’assit près d’elle et immédiatement, il se sentit mieux. Il se tourna vers elle quand elle commença à lui parler :

Cours théorique de botanique sur l’Aconit. Pas très passionnant. Surtout que je sais déjà tout ce que la prof a dit… J’attends de passer à la pratique pour voir ce que je peux en tirer pour mes potions, tu t’en doutes.

Il lui fit un bref sourire avant de reprendre :

Et toi ? Ta journée s’est bien passée ?

Lily leva les yeux au ciel lorsqu'il mentionna le mot inéluctable, "potions". Sa fascination démesurée pour ce cours la laissait pantoise. Il était vrai qu’il était extrêmement talentueux dans cette matière. Après tout, c’était un moyen de créer comme un autre. Certains peignent bien, d’autres écrivent et Severus concoctait des potions. Lily réprima son envie de rire en la masquant derrière une toux inventée. Sa mise en scène pour se contrôler se stoppa nette dès que Severus lui posa la question redoutée. Ce qui l’obligea bien malgré elle a ressassé un souvenir des plus désagréables, son altercation avec James Potter à la fin de son deuxième cours. Elle évita soigneusement de le mentionner cependant. Elle voulait juste se délecter de la présence de son meilleur ami.

Hum… Plutôt pas mal. Longue… Trop longue. Comme je savais que nous allions nous voir en fin de journée, j’arrivais difficilement à me concentrer. Je déteste les débuts d’année pour ça, obligé de jouer ce stupide jeu pour sauver les apparences… C’était si simple avant…

Lily se mordit les lèvres pour s’arrêter. Inutile de dériver davantage, la consistance de ces propos pouvait rapidement faire viré la conversation vers un chemin trop orageux et conflictuel. D’un geste nonchalant, elle écarta les quelques mèches rousses s’étant aventuré sur son front. Son regard effleura l’épiderme translucide de Severus et elle s’aperçut qu’il était aussi déshydrater qu’elle voir pire.

Tu as dû cuire dans la serre de Madame Chourave ! Je peux à peine respirer à cause de la chaleur… Je n’ose pas entrevoir la manière dont on doit se faire rôtir là dedans…
Enfin bref…

Elle balaya de ses yeux l’aspect général de son ami cherchant à décrypter la réponse qu’elle voulait obtenir.

Comment vas-tu ?

Lorsqu’il lui posa la question, il la vit faire un imperceptible mouvement d’œil. Il la connaissait. Cela voulait dire quelque chose. Il attendit et lorsqu’elle répondit, il sut qu’elle taisait une partie de la vérité. Mais il ne put lui demander plus d’explications car elle enchaîna rapidement et parla d’un sujet qui le fit grimacer. C’était tellement dur pour lui aussi… Mais elle le savait et il n’était pas nécessaire de lui dire. C’était l’avantage avec elle ; ils se connaissaient et savaient beaucoup de l’autre, ce qui leur permettait de comprendre les choses sans avoir besoin de les dire. Il la regarda écarter ses mèches de son front. Elle avait visiblement très chaud. Il l’écouta parler et eut un soupir.

Oui, on crevait de chaud, c’était intenable ! Mais, même en sortant, l’air chaud nous brûle les poumons c’est horrible ! Je ne sais pas s’il vaut mieux être à l’intérieur ou à l’extérieur…

Il n’en dit pas plus, ne souhaitant pas parler de sujets futiles comme celui-là. Il n’avait envie que de profiter de sa présence, de s’en repaître, ne sachant pas quand il aurait l’occasion de la revoir à nouveau et de passer du temps avec elle. Mais quand elle lui posa sa question, il crispa les mâchoires. Dans la bouche d’un autre, cette question serait passée pour une marque de politesse, pour faire comprendre à l’autre qu’on l’avait vu, dans la suite logique du « bonjour » ou « salut ». Mais ici, c’était Lily qui lui posait cette question. Lily qui le connaissait mieux que quiconque. Ce n’était pas une bête question dans sa bouche. C’était cent fois pire et beaucoup plus terrifiant. Surtout dans les circonstances actuelles. Mais que pouvait-il lui répondre ? Lui-même avait du mal à savoir où il en était clairement alors quant à lui expliquer… En plus, il n’avait pas envie de l’effrayer ou de la rendre triste. Non. Pas aujourd’hui. Pas maintenant. Pourquoi était-ce toujours si compliqué ? Il la vit le regarder de ses yeux doux et il s’émut. Lily tellement gentille… Lui avait-il seulement menti une fois ? Il aurait pu affirmer qu’il ne l’avait jamais fait. Elle inspirait la confiance et il avait toujours envie de tout lui dire. Mais là…

Aussi bien que possible dans les circonstances actuelles…

Il eut une moue, comme s’il regrettait déjà d’avoir dit ça mais il enchaîna rapidement.

Enfin, je ne vais pas te cacher que ce début d’année est particulièrement difficile. L’ambiance est très tendue, que ce soit entre les maisons mais aussi entre les élèves. Je ne sais pas si vous avez ça chez les Gryffondor mais chez nous, ce sont des conflits tout le temps, c’en est presque invivable. Et je ne peux pas toujours m’éclipser et faire comme si cela ne me concernait pas et n’avait pas d’importance. Tu connais trop bien le genre de ragots qui peuvent circuler dans cette école et je n’ai pas envie d’être la cible de ces rumeurs…

Pendant son discours, il avait enlevé sa cravate et l’avait posée à côté de lui. Il détestait sentir ce bout de tissu venir lui enserrer la gorge… Il ouvrit également les premiers boutons de sa robe, dans une tentative désespérée de respirer un peu mieux. La chaleur était vraiment intolérable.

Lily soupira, resserrant l’étreinte de ses bras autour de ses jambes, toujours repliées contre elle. Elle l’observa déboutonner sa chemise marquant ainsi une longue pause dans leur discussion. Leur silence était teinté de piaillements inconvenants provenant des alentours du lac.

J’imagine que nous devrions également éviter de nous promener ensemble dans les rues de pré-au-lard la semaine prochaine…

Lily enchaîna rapidement, ne lui laissant aucunement le temps de répondre. Un goût amer lui collait au palais, s’insinuait dans ses pensées. Elle détestait cela.

Je n’irai pas alors… Ca ne rime à rien de me balader seule là bas.

Les rayons caramel du Soleil ondulaient sur sa crinière rousse, créant des filaments dorés dans la chevelure de Lily Evans. Elle oublia la présence de l’astre solaire, sa chaleur ne la percutait même plus. A la place, une morsure glacée l’engourdissait, née de cette évidence. La solitude semblait croître récemment, Severus s’éloignait perceptiblement d’elle. C’était inconscient de sa part… Néanmoins, même pour un début d’année… Même ses explications sonnaient fausses dans le creux de sa bouche… L’angoisse nouait la gorge sèche de la jeune fille, elle détourna son regard de son ami et le posa sur une silhouette quelconque attendant que ses craintes se taisent d’elles-mêmes. Elle s’appliqua à retrouver une respiration plus sereine, moins hachée. Les ombres l’enveloppaient toujours et Severus n’était pas dupe. Les sourcils de Lily s’arquèrent sous le poids de son chagrin tandis qu’elle lui dévoila la cause de sa peine.

J’ai peur…de te perdre. Tu es mon meilleur ami… Et j’ai l’impression que tellement de choses nous séparent désormais.

Lily caressa du bout de ses prunelles la surface lisse du lac, rêvant de s’immerger pour cesser de penser, d’anticiper… Et surtout de créer des conversations ne menant qu’à leur propre néant.

Il tiqua lorsqu’il l’entendit dire qu’elle préférait éviter qu’ils se voient à Pré-au-Lard la semaine suivante. Alors qu’elle continuait à parler, il déglutit lentement. Une sourde colère s’insinua en lui, se répandant dans son corps comme un poison. Il ne pourrait pas la voir la semaine prochaine. Tout ça à cause des autres. Et de leurs maisons. Pourquoi avait-il fallu qu’ils tombent dans des maisons différentes ? Tout aurait été beaucoup plus simple s’ils avaient été camarades de classe… Mais on veut toujours ce qu’on n’a pas, c’est bien connu. Malgré cela, Severus ne pouvait s’empêcher de s’énerver. Il fronça les sourcils lorsqu’il se rendit compte qu’il s’énervait souvent ces derniers temps… Que lui arrivait-il ? Lui d’habitude si posé se laissait mettre en colère pour des choses auxquelles il ne pouvait rien changer. Cela le troubla et la colère retomba immédiatement dans cette prise de conscience.

Il observa Lily du coin de l’œil, s’arrêtant sur sa chevelure rousse inondée de soleil. Elle semblait angoissée et Severus ressentit cette angoisse au plus profond de lui. Elle s’angoissait pour lui. Cela le frappa de plein fouet et il se mordit la lèvre inférieure en fronçant les sourcils. Il eut la confirmation de ses pensées en l’entendant avouer ce qu’elle pensait. Dans un premier temps, il ne sut quoi répondre. Elle avait raison. Tant de choses les séparaient désormais. Mais il ne pouvait le lui avouer. Cela aurait placé encore plus de distance entre eux deux. Et il ne voulait pas les éloigner davantage. Comment ferait-il pour vivre sans elle ? Elle avait toujours été proche de lui et aussi loin qu’il se souvienne, c’était à elle qu’il avait confié ses secrets les plus personnels, comme par exemple la mauvaise entente entre ses parents et leurs disputes continuelles alors qu’il était à peine un adolescent. Elle l’avait écouté. Toujours. En le regardant au fond des yeux. Comme si ce qu’il disait était très important pour elle. Et surtout, comme si elle voulait lui faire comprendre qu’elle savait ce qu’il ressentait. Qu’elle le comprenait. C’était inédit pour lui. Et il s’était attaché à elle. Attaché de façon irrémédiable et sincère. Personne ne pouvait les séparer. Il le lui dit, parce qu’elle avait besoin de l’entendre. Lui aussi.

Personne ne pourra nous séparer Lily. Même si nous traversons des moments difficiles, nous serons toujours ensemble. Crois-moi.

Il hésita un moment puis ajouta, en le murmurant :

Je te le promets.

En prononçant ces mots, il eut l’impression qu’ils prenaient forme et qu’ils devenaient réels. Sans savoir pourquoi, cela le rassura, comme s’il avait dit ce qu’il fallait au bon moment. Il posa ses yeux sur Lily qui le regardait et lui sourit en posant sa main sur son épaule, pour lui assurer sa présence. Ce simple contact lui fit prendre conscience du manque que son absence avait créé en lui. Il se prit à se demander ce qu’elle pensait à cet instant précis.

Tu sais, nous pourrions quand même nous donner rendez-vous à Pré-au-Lard. Je pourrai bien échapper aux autres un moment pour que nous nous voyions. Et nous irions nous asseoir dans l’herbe derrière la Poste, comme nous le faisions les deux années précédentes, en observant les hiboux s’envoler pour aller porter le courrier… Qu’en dis-tu ?

Il l’observait avec des yeux anxieux, la main toujours posée sur son épaule.

Elle attendait, souffrant d’un mal dont le seul remède l’observait sur sa droite. L’angoisse l’obligeait à surveiller sa poitrine se mouvant trop irrégulièrement. Sa voix perça enfin le mutisme éthéré qui les avait noué durant de longues minutes. Son ténor grave coulait en Lily à la manière d’un liquide brûlant, elle le sentait battre dans ses veines. Les larmes grimpaient déjà dans l’émeraude de ses yeux, les faisant briller plus que la normale. Elle prit soin de les refouler, discrètement avant de se retourner pour faire face vers ce que à quoi le monde se résumait pour elle en ce moment, Severus Rogue. Il amorça un geste délibérément lent comme pour lui laisser le temps de décliner cette approche, ce qu’elle ne fit pas. Les doigts de Severus entouraient son épaule, rendant palpable les paroles qu’il avait énoncées un peu plus tôt, liant sa promesse à l’absolu. Lily contourna du bout de ses prunelles les deux iris rondes de Severus, tentant de le remercier par contact visuel. Les mots lui manquaient, ils s’effilochaient dans sa gorge, perdaient de leur force et signification. Rien ne pouvait traduire ce qu’il faisait clore au fond de son être.

Puis, il reprit la parole, lui offrant un autre engagement, une alternative, une issue. Si Lily avait été impulsive, elle aurait pu aisément se jeter au cou de son meilleur ami. L’euphorie la faisait tant sourire qu’elle en avait mal aux joues. Elle glissa lentement la paume de sa main sur les doigts de son ami, toujours agrippés à son épaule. Ce contact apaisa la jeune fille, lui donna l’impression d’être enfin rentrer chez elle après des semaines d’errances. Elle se retrouvait par ce simple toucher, n’y avait-il pas une partie d’elle-même entre toute cette chair qui constituait Severus ? Ils étaient et seraient pour longtemps encore indissociable.

Je dis que ta proposition m’aidera grandement à supporter cette situation…

Il n’y avait rien à ajouter finalement, ils étaient là, ensemble et semblaient inébranlable sous la lueur d’un Soleil dorée, la promesse de journée, de moments semblables flottaient dans l’air, les baignait dans une confiance aveugle de leur Avenir. Finalement, Lily avait été stupide non ? Comment avait-elle pu douter un instant que tout cela disparaîtrait aussi rapidement ? Lily resserra l’étau de sa main autour des doigts de Severus.

Dis-moi, si j’avais été à serpentard, tu crois que tout aurait été différent ?

Ils se fixèrent sans rien dire, leur échange pourtant uniquement optique était si intense que tous deux respiraient plus lentement. S’oubliant. Entrevoyant un Avenir qui n’avait aucun sens, aucune forme, aucune raison… Lily était une gryffondor.

Cette question était stupide, excuse moi… Je ne voudrais pas que les choses soient différentes. Tant que tu es là… avec moi.

Une étincelle de joie s’alluma en lui lorsqu’il vit un large sourire étirer ses lèvres. Il lui sourit en retour et il sentit alors sa main se poser sur la sienne. Sa paume semblait fraîche, contrairement à l’atmosphère brûlante de l’après-midi. Il ressentit ce contact comme le lien qu’il manquait entre eux et il se sentit beaucoup mieux, encore plus lorsqu’elle accepta sa proposition pour Pré-au-Lard. Il ne répondit rien, se contentant d’être là, avec elle, comme avant. En cet instant, il se prit à rêver d’un avenir où ils pourraient toujours rester ensemble, sans complications. Cela lui parut soudain possible et réalisable. La main de Lily se referma plus fermement autour de ses doigts et il lui prit sa main avant de l’entendre poser la question fatidique. Il la fixa, sans lui répondre pour le moment. Il respira plus lentement, imaginant une toute autre route ensemble.

Non, ta question n’était pas stupide. Tu sais… j’ai souvent pensé à ça aussi… Si je n’avais pas été un Serpentard et si tu n’avais pas été une Gryffondor. Mais qui sait ce qui se serait passé si nous avions été réunis ?

Il hésitait, ne sachant exactement quoi lui répondre. Après tout, il y pensait tellement souvent. Mais il ne pouvait lui raconter tous les scénarios qu’il avait formés dans sa tête, les imaginant ensemble, dans la même maison, révisant ensemble sans se cacher, riant ensemble au coin du feu, dans leur salle commune. Non. Tout cela n’existerait jamais. Il se laissait parfois envahir par la nostalgie et les histoires surgissaient alors de son inconscient. Mais cela ne se produirait jamais. Ils n’étaient pas dans la même maison. Et ils ne le seraient jamais. C’était comme ça. Et ils ne pouvaient rien y changer. Voyant Lily qui le regardait avec au fond de ses prunelles un point de tristesse, il décida de plaisanter, ne voulant pas que leurs retrouvailles se terminent sur une mauvaise note.

Et puis, est-ce que je ne fais pas un parfait petit Serpentard rusé et malicieux à souhait ? Et toi, tu es parfaite pour Gryffondor, avec ta gentillesse et ton courage…

Il la regarda en souriant et continua :

Je me demandais… Tu ne crois pas que Potter a soudoyé le Choixpeau pour aller chez Gryffondor ? Parce que, franchement, il n’a pas les qualités de cette maison. A vrai dire, on aurait dû créer une maison pour lui tout seul, avec les caractéristiques « frimeur et grosse tête ». Ça aurait été parfait pour lui, non ?

Si ils avaient été réunis… Lily ne pouvait même pas en rêver, même pas prétendre que cela aurait été une éventualité. Non. Ils étaient là où ils devaient être, ça elle en était certaine. Elle qui s’était bornait à croire que la proximité de leur habitation n’était pas due au hasard… Et si elle s’était trompée ? Et si Severus, finalement, ne pouvait rester à ses côtés. Un jour, peut être il se rendra compte de leurs différences et ne voudra plus demeurer près d’elle. Lily déglutit douloureusement, jetant un regard en biais vers son meilleur ami.

Et comme toujours, Severus comprit. Comme toujours, il lui ôta sa souffrance en quelques mots à peine chuchoter. Elle acquiesça d’un hochement de tête, l’esquisse d’un sourire s’emparait de ses lèvres. Mais le rictus s’évanouit aussitôt que Potter fut mentionné. Inutile d’en préciser la raison. Rien que la mention de cet horripilant personnage écoeurait Lily.

S’il te plait… Evitons le sujet Potter. Tu n’as pas envie que je te broie la main n’est ce pas ? Donc. Sujet clos.

Severus fixa Lily, une lueur dans le regard, l’engouffrant entièrement. Ensuite, sans vraiment y songer, ils partirent sur un fou rire incompréhensible, nerveux et vif. Lily se tenait les côtes avec sa seule main inoccupée et gardait l’autre à l’abri dans celle de Severus. Leur hilarité s’estompa aussi rapidement qu’elle eut commencée. La jeune fille secoua sa chevelure comme pour rassembler un semblant de pensées cohérentes. Elle reprit la parole d’une voix plus douce.

Tu sais quand a lieu le prochain « rendez-vous » du club de Slug ? C’est bien la seule occasion où je peux m’asseoir près de toi sans remarques ou regards désobligeants.

Lily vira ses yeux sur le ciel bleu, nourrit par l’astre flamboyant de reflets caramel. Elle glissa sa crinière rousse sur son épaule pour libérer sa nuque inondée de sueur.

N’empêche… Quand tu y réfléchis quelques secondes, sérieusement, qu’est ce que ça peut leur faire que toi et moi nous nous apprécions ? A ce que je sache, nous sommes encore en droit d’aimer qui on veut… Enfin.
C’est tout ce système de maisons qui a provoqué ce genre de réactions. Les haines et préjugés sont trop encrés. Bah. Au moins, nous serons l’exception et ça me va plutôt bien. Toi et moi, on n’est pas comme tout le monde.

Lily lui offrit un sourire radieux puis suffoqua un peu sous cette chaleur qui devenait insupportable, l’engourdissait au point qu’elle en était épuisée. Sa tête se pencha d’elle-même jusqu’à toucher l’épaule de Severus. Elle ferma les yeux pour se reprendre.

Excuse moi. Ca fait longtemps que je suis ici, j’étais tellement pressée de te voir que j’ai pas pris le temps de boire quelque chose avant.

Il regretta un peu d’avoir parlé de Potter. Il voyait bien que Lily n’était pas à l’aise lorsqu’il parlait de lui. Il eut peur que cela ne jette un nouveau froid entre eux mais elle le rassura en commençant à rire. D’abord surpris, il se joignit rapidement à elle, riant franchement, comme il ne l’avait plus fait depuis longtemps. Cela lui faisait du bien même s’il sentait que son rire était un peu nerveux. Il riait souvent avec elle. C’était d’ailleurs la seule personne avec qui il riait… Encore une des particularités de Lily. Après quelques secondes, ils cessèrent de rire, mais leurs sourires ne quittèrent pas leurs visages. Il eut ensuite un haussement d’épaules quand elle lui parla du club de Slug.

Je ne sais pas trop. Ce n’est que le début d’année. Slughorn va sûrement attendre un peu avant de commencer ses « rendez-vous ». Mais j’avoue que j’ai hâte d’y être pour une fois. Comme tu dis, c’est le seul moment où nous pouvons être ensemble sans craindre le regard des autres. Juste pour ça, j’aime aller là-bas.

Il la regarda écarter sa chevelure de sa nuque moite à cause de la chaleur tout en l’écoutant continuer, suivant le fil de ses pensées. Il l’écouta attentivement, remarquant qu’elle pensait la même chose que lui.

Les maisons créent des clans oui. C’est vrai.

Mais il n’avait pas envie de parler de ça alors il continua rapidement.

Moi je dirais qu’ils sont tout simplement jaloux de notre amitié. Et sinon, je suis entièrement d’accord avec toi : nous ne sommes pas comme tout le monde et j’adore ça !

Il lui sourit mais son sourire s’évanouit lorsqu’il la vit faire une grimace. Sa tête oscilla légèrement et vint se poser sur son épaule mais elle la quitta presque aussitôt. Elle n’avait pas l’air bien. Avant qu’il ne puisse lui demander quoi que ce soit, elle parla et ce qu’elle dit l’inquiéta grandement.

Lily ! Tu n’aurais pas dû venir sans avoir bu ! Tu te rends compte de la chaleur qu’il fait ?!

Il se rendit compte qu’il la réprimandait et il se calma, lui parlant d’une voix plus douce. Il se leva rapidement, sa tête tournant légèrement à cause de la chaleur. Il tenait toujours la main de Lily dans la sienne et il appuya l’autre sur l’arbre derrière eux pour se stabiliser. Il tira ensuite doucement Lily par la main pour l’aider à se relever. Elle avait l’air aussi instable que lui. Il se maudit, ils étaient restés trop longtemps au soleil ! Même si l’arbre les protégeait un peu des rayons chauds du soleil, ils risquaient d’attraper une insolation !

Viens, on rentre au château pour boire quelque chose de frais.

Severus se releva, projetant sur elle une ombre dès plus appréciable. Il vacilla sur place quelques instants avant de s’accoler à l’arbre et reprendre consistance suffisante. Les traits de Lily s’affaissèrent légèrement sous l’inquiétude.

Il n’y a pas que moi qui devrais prendre garde ! Ca va aller ?

Il acquiesça d’un bref hochement de tête puis comme pour allier action et paroles, il l’aida à se relever. Lily a son tour dû se stabiliser. Les vertiges faisaient défiler le décor sous ses pieds au point que les couleurs estivales tournoyaient autour d’elle dans un mélange verdâtre et ambre. Elle s’agrippa instinctivement aux épaules de Severus délaissant sa main par la force des événements. A cette distance, le souffle de Severus courrait sur son front tandis qu’elle le sentit se raidir perceptiblement à ce contact brusque. Elle tint la pose quelques instants avant de se décrocher de son ami, elle se recula encore secouée par son étourdissement puis noua sa longue chevelure en un chignon négligé à l’aide d’un élastique qui paressait sur son poignet. Le peu d’air présent lui balaya la courbure de sa nuque et elle respira profondément pour en retirer un maximum. Ils s’orientèrent ensuite vers le château d’une démarche titubante, le Soleil les irradiait complètement loin des arbres. Les portes du château leur semblaient encore épouvantablement lointaines quand Lily se tourna vers Severus.

Vu la chaleur, ça ne m’étonnerait pas que ça vire à l’orage ce soir. On a toujours eu horreur de ça, hein ? La fois où on était près du ruisseau et qu’il s’était mis à pleuvoir. Tu te souviens ? On s’était caché dans une cabane désertée pour attendre que l’orage passe. On était effrayé…

Lily sourit en évoquant ce souvenir. Même d’ici, elle pouvait encore percevoir la fragrance de l’herbe humide, le parfum qui s’échappait de la peau de Severus sous l’ondée, son regard embrumer d’effroi et leurs mains nouées. Ces étés où rien ne les séparer, ces étés où les sourires se cueillaient à pleines mains. Lily devint nostalgique et elle en soupira tristement.
Ce soir, même si elle avait peur, Severus ne serait pas être là.

Ils se faufilèrent finalement dans le château et une fois à l’intérieur, Lily s’adossa au mur tout en s’épongeant le front de son poignet. Severus l’imita et tous deux regardait depuis leur parcelle l’agitation régnant dans le hall. De toute évidence, ils avaient été parmi les seuls à avoir été aussi peu prévenant. Mis à part le groupe près du lac, les seuls étudiants à s’être obligeamment offert à l’astre Solaire n’avaient fait que fuir l’endroit. La jeune fille orienta sa tête de sorte à faire face à son meilleur ami. Il semblait aussi épuisé qu’elle par cette chaleur.

Direction les cuisines j’imagine ? Puis ? Tu as une idée ?

Il se raidit perceptiblement lorsqu’elle posa ses mains sur ses épaules pour se ressaisir. Il eut une drôle de sensation mais celle-ci le quitta dès qu’elle ôta ses paumes de lui. Il respirait difficilement, essayant en vain de trouver de l’air plus frais. Il attendit qu’elle ait noué ses cheveux pour prendre la direction du château. Leurs pas étaient incertains et ils fronçaient les sourcils pour protéger leurs yeux des rayons brûlants du soleil. Severus avait l’impression que les portes du château étaient extraordinairement éloignées d’eux, alors qu’en temps normal, il ne lui fallait que quelques minutes afin de rejoindre les murs de l’école. Il ne se souvenait pas quand pour la dernière fois, il avait fait aussi chaud… Il avait l’impression que la chaleur était tellement intense qu’elle lui rentrait par tous les pores de la peau, chauffant ses veines et la moindre particule de son corps. De temps en temps, un voile tombait devant ses yeux et il devait cligner des paupières pour retrouver une vision à peu près normale, ce qui faisait qu’il progressait très lentement.

Il n’entendit pas Lily commencer à lui parler, plongé dans ses pensées et meurtri par la soif. Il perçut quand même le mot « orage » et se mit à écouter à ce moment-là, lorsqu’elle évoqua un souvenir de leur enfance. Il eut un faible sourire, ce souvenir étant un des plus marquants de son enfance. Il ne répondit pas à Lily, elle savait qu’il était en train de se repasser la scène dans sa tête.

A 10 ans, Severus avait peur de l’orage. Il ne l’avait jamais dit à personne. Sauf à Lily. Ce soir-là. Ce soir où l’orage les avait surpris près du ruisseau où ils aimaient se retrouver. Sur le moment, il avait fait comme s’il n’avait pas peur, bien que ce sentiment envahissait alors tout son être et menaçait de déborder à la moindre occasion. Il avait alors regardé Lily et il l’avait vue, tremblante sous la pluie qui commençait à tomber. Elle avait les yeux légèrement écarquillés et il avait alors compris qu’ils éprouvaient la même chose. Il l’avait alors tirée vers la cabane abandonnée près du ruisseau pour se protéger des caprices de la nature. Ils s’étaient assis côte-à-côte, et ils s’étaient serrés la main très fort, comme si cela pouvait éloigner l’orage d’eux. Il avait fallu un certain moment avant que la pluie ne cesse et qu’ils considèrent que l’orage était assez loin pour oser sortir de la cabane. Et bizarrement, ce fut la dernière fois que Severus eut peur de l’orage. Comme si, grâce à Lily, il avait mené son combat contre l’élément qui lui faisait peur et que désormais, l’orage ne pouvait plus l’atteindre. Il en était ressorti plus fort et plus sûr de lui.

Il se tourna vers Lily, elle avait l’air perdue dans ses pensées. Il se demanda à nouveau à quoi elle pensait. Elle avait l’air soucieuse. Ils atteignirent enfin les portes du château et s’empressèrent d’y pénétrer. Ils allèrent s’appuyer contre le mur et s’épongèrent le front d’un même geste. Il y avait plusieurs élèves dans la pièce, trop pour Severus. Il était à peine arrivé là qu’il voulait déjà s’en aller, ne supportant pas d’être dans un environnement bruyant. Il acquiesça rapidement lorsque Lily lui parla des cuisines et réfléchit un moment avant de lui répondre.

Il doit faire bon dans les salles communes mais malheureusement, nous ne pouvons nous rendre ensemble dans la tienne, ni encore moins dans la mienne…

Il s’interrompit brutalement, se rendant compte qu’il abordait – une fois de plus – le sujet de leur appartenance à des maisons différentes et donc la barrière qui les séparait. Il se morigéna et se dépêcha d’enchaîner.

Sinon, nous pouvons toujours aller à la bibliothèque. Il n’y aura sûrement pas beaucoup de monde et nous y serons tranquilles. Nous trouverons bien un coin frais…

Ils avaient commencé à marcher vers les cuisines de Poudlard, en quête de quelque chose pour se rafraîchir. Ils s’attirèrent les regards de quelques élèves, comme toujours lorsqu’ils se promenaient ensemble dans le château. Des regards accusateurs et moqueurs parfois. Severus eut un rictus malveillant et faillit en provoquer un qui les regardait vraiment trop fixement mais il se retint à temps. Parce que Lily était là. Il n’avait pas envie de la mettre dans une situation délicate. Mais s’il avait été seul… Ses muscles se raidirent.

Les regards coulaient sur eux tandis des chuchotements frénétiques grésillaient autour de leur position. Lily s’en souciait peu, seul la présence de Severus comptait et les autres pouvaient penser ce que bon leur semblait. Elle savait où était sa place, ici avec lui. D’un regard en biais, elle vit perceptiblement la main de son ami se serrait en un poing menaçant. Il avait du mal pour tempérer ses humeurs, une facette de sa personnalité qui allait en s’accroissant ces derniers temps. Lily se mordit la lèvre inférieure, nerveuse à l’idée qu’il s’attaque au garçon qui les fixait excessivement. C’en était carrément impoli. Les phalanges de sa main se dessinaient sous sa peau presque translucide à cause de la pression qu’il continuait d’exercer. Le carnage semblait proche. Lily glissa discrètement ses doigts sur le bras crispé de son meilleur ami.

Laisse tomber, ça n’améliora en rien leurs préjugés… Que du contraire même.

Elle scruta les yeux assombris de Severus, tentant d’y déceler la moindre lueur. Sa rage semblait gagner en terrain et Lily était emplie d’effroi à l’idée qu’il perd le contrôle. Dans une ultime tentative d’apaisement, elle lui sourit. Severus lui offrit une grimace en guise de réponse mais il se détendit considérablement. La jeune fille aurait tant aimé le prendre par la main pour l'adoucir mais ce geste semblait déplacé entouré de tous ces vautours. Les ragots auraient fusé et Severus détestait cela à un point inimaginable. Leurs silhouettes se mouvaient péniblement, la chaleur les ankylosait toujours. Cependant, la jeune rouquine cherchait à dépasser sa vitesse trop limitée afin qu’il n’y ait aucun incident. Elle s’arrêta à mi-chemin, soudainement secouée par une évidence absurde.

Nous sommes stupides, il suffirait juste de prononcer une formule et l’eau jaillirait de notre baguette… On est de toute façon plus proche de la bibliothèque que des cuisines pour l’instant. Pour être franche, je me suis tellement abattue par la chaleur que le moindre mètre économisé me rend presque euphorique… Qu’en dis-tu ?

Lily prit appui sur le mur le temps que Severus rassemble les pièces de son discours. La jeune gryffondor était accablée par cette journée qui n’en finissait pas. Elle sentait les gouttes de sueur perlées autour de ces cernes déjà bien marqués. Pendant qu’elle couvait Severus des yeux, une image interféra ses autres pensées. Elle aurait aimé se frayer un chemin jusqu’aux bras de Severus pour s’y endormir. Cette étrange envie la surprit, elle devait être réellement K.O. pour avoir de pareils songes. Elle secoua sa tête comme pour chasser immédiatement cela d’elle.

Il sentit les doigts de Lily se poser sur son bras et il relâcha lentement la pression de ses muscles. Il acquiesça brièvement lorsqu’elle lui dit de laisser tomber. Elle avait raison. Comme toujours. Mais quand même. Qu’avait-il à les fixer comme ça celui-là ? Rien que de le regarder à nouveau, il retrouvait son envie d’aller lui dire sa façon de penser. Il vit alors Lily lui sourire et cela chassa sa haine momentanément. Il grimaça et sentit son corps se détendre.

Ils marchaient toujours vers les cuisines quand Lily l’apostropha et s’arrêta. Il la regarda en haussant un sourcil, se demandant pourquoi elle s’était arrêtée. Lorsqu’elle parla pour en expliquer la raison, il eut une moue désapprobatrice. Ce qu’ils pouvaient être bêtes parfois ! Ils pouvaient en oublier qu’ils faisaient de la magie… Il eut du mal à saisir les derniers mots qu’elle avait prononcés et se concentra pour rassembler ses esprits et saisir le sens de son message.

Rendons-nous à la bibliothèque pour nous asseoir et boire. Comme tu l’as dit, elle est plus proche et je ne supporte pas tout ce monde dans les couloirs.

Pendant ce temps, Lily s’était appuyée contre le mur et il avait fait de même, trouvant appui dans les murs anciens du château. Il sentit son regard se poser sur lui et il la fixa un instant, se demandant quelle était cette expression qui était passée sur son visage pendant une seconde. Elle s’était vite ressaisie en secouant la tête et Severus fronça les sourcils. Qu’avait-elle donc ? Cependant, il décida de ne pas approfondir plus en avant sa réflexion, préférant prendre le chemin de la bibliothèque avec son amie.

Ils croisèrent encore quelques élèves mais ils se firent moins nombreux au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient de la bibliothèque. Il n’y avait jamais grand monde en cet endroit. C’était une des raisons pour lesquelles Severus l’adorait. Cela en dehors du fait qu’il pouvait y apprendre des tas de choses sur les potions en consultant tous les ouvrages de la bibliothèque. Ils les connaissaient déjà presque tous, les ayant lus au moins une fois. Ils ne lui apprenaient donc plus énormément mais il continuait d’y venir régulièrement, pour relire une ou deux pages d’un ouvrage où il pourrait trouver des conseils pour la fabrication d’une de ses potions.

Il tenait en effet un livre où il notait toutes ses idées sur les potions. Cela allait de la liste d’ingrédients à mettre dedans, avec leurs propriétés et leurs caractéristiques propres aux divers conseils donnés par le professeur Slughorn, le professeur de potions sur les chaudrons, les fioles ou les outils à utiliser pour mélanger les potions… Tout était inscrit là-dedans et Severus l’emportait partout avec lui, ne faisant confiance à personne. Lily était au courant pour ce carnet, bien qu’il ne lui ait jamais laissé voir ce qu’il y écrivait. Il savait que cela la frustrait mais elle était trop gentille pour le montrer. Severus culpabilisait un peu de ne pas le lui montrer mais quelque chose l’en empêchait. Quoi, il ne le savait pas. C’était peut-être ça aussi qui le bloquait… Un jour il le lui montrerait. Il se le promettait. Plus tard. Ils avaient du temps devant eux...

L’expression de Severus était indéchiffrable tandis qu’ils évoluaient vers la bibliothèque. Lily ne chercha pas à en connaître la raison mais spécula mentalement sur les diverses choses qui devaient travailler son ami. Ses parents pour commencer. La situation familiale de son meilleur ami était désastreuse et il en subissait un lourd tribut. La jeune gryffondor poussa un long soupir de soulagement quand elle aperçut la porte menant à l’endroit convoité. Ils y entrèrent enfin et s’installèrent aussi loin que possible de Madame Pince afin d’être préservé des remarques désobligeantes dont elle avait l’habitude de proférer.

Les étagères voilaient la totalité de leur carcasse et tous deux purent s’y mettre à l’aise. Lily se laissa tomber sur sa chaise et porta sa joue jusqu’à la surface rugueuse de la table en bois tout en ramenant ses bras autour de sa tête toujours aussi bouillante. Ses joues étaient rougies par l’insolation qu’ils avaient subie. D’ailleurs, un coup de Soleil se dessinait perceptiblement sous ses deux prunelles émeraude. Severus murmura une formule si bas que même Lily n’en perçut pas le sens. Ce n’est qu’une fois les verres vides apparurent qu’elle comprit la raison du sortilège. Il remplit les deux récipients en faisant jaillir l’eau de sa baguette telle que Lily l’avait suggéré un peu plus tôt. Puis il tendit un gobelet vers elle l’obligeant à se relever pour en boire goulûment le contenu. Elle le remercia d’un signe de tête pour ne pas éveiller les soupçons de la gardienne. Le silence les murait dans une léthargie grandissante mais cela ne gênait pas Lily. Une fois qu’ils eurent épanché leur soif, Lily se remit dans sa première position et ferma ses paupières.

J’aime beaucoup cet endroit, il possède une odeur qui m’est familière…

Inutile qu’elle précise que c’est parce que lui-même possédait cette fragrance insaisissable et envoûtante. Alors qu’elle appréciait le mélange de ces deux arômes –celle de la bibliothèque mêlé à celle de son meilleur ami-, Morphée l’entrainait dans ses filets. Elle s’assoupit quelques instants mais fut rapidement sorti de sa torpeur lorsqu’un grondement sourd perça l’atmosphère paisible du lieu.

L’orage n’avait pas attendu la nuit pour se manifester. Lily ouvrit un œil pour observer Severus penché sur elle, elle avait dû sursauter sans s’en rendre compte et il s’enquit de son état. Son visage était si près qu’elle en distinguer le moindre détail.

Ca va, j’ai… Enfin, l’orage m’insupporte toujours. .. Tu peux rire si tu veux…

Mais Severus ne le fit pas, il se recula pour la laisser se rassoir normalement. Lily amena ses jambes contre sa poitrine et les étreignit de ses bras comme pour se rassurer. Elle jeta un regard à la fenêtre et observa les éclairs déchirant le ciel pendant que les nuages prenaient de l’ampleur. Il se rapprochait. Lily arborait une expression anxieuse et se trouvait si stupide d’avoir à son âge de pareils réactions.

Ils arrivèrent enfin à la bibliothèque et allèrent s’asseoir loin de Mme Pince, n’ayant pas envie de subir un de ses courroux. Il observa Lily s’appuyer sur la table et murmura un faible accio afin de faire parvenir deux verres jusqu’à eux, et essayant de ne pas attirer l’attention de la bibliothécaire. Il les remplit avant d’en tendre un vers son amie. Lorsqu’elle releva la tête vers lui pour se saisir avidement du verre, il vit qu’elle avait deux coups de soleil sous les yeux. Il eut un mince sourire. Cela lui donnait un air enfantin et ses yeux pétillaient encore des rayons du soleil auxquelles ils avaient été exposés plus tôt. Il eut l’impression encore une fois de revenir quelques années en arrière, où ils revenaient de leurs promenades rougis à cause du soleil. Quoi qu’en y pensant, c’était souvent Lily qui avait des couleurs. Lui avait une peau très pâle que le soleil n’arrivait pas à rougir, ou alors très rarement.

Il la regarda reposer sa tête sur la table, et eut une bouffée de bonheur lorsqu’il l’entendit avouer une des raisons pour lesquelles elle aimait cet endroit. Il ne la quittait pas des yeux, voyant bien que le sommeil l’emportait mais il n’avait pas envie de la réveiller. Autant la laisser reprendre un peu d’énergie. De toute façon, qu’ils parlent ou non, sa présence était tout ce qui importait. Il posa ses yeux sur ses cheveux, flamboyants comme toujours, s’emmêlant légèrement. Il eut envie de passer sa main dessus pour vérifier leur douceur mais il se retint. Il ne savait pas comment elle réagirait. Mieux ne valait pas. Il fixa alors ses paupières qui étaient fermées. Comme ça, on aurait pu croire qu’elle était une fille comme toutes les autres. Mais Severus savait que quand elle ouvrait les yeux pour fixer le monde de ses prunelles émeraude, c’était comme si elle cherchait à connaître l’univers entier. Elle était unique. Et il avait l’impression qu’il était le seul à pouvoir bénéficier de cela. C’était vrai d’un certain côté. Ou peut-être se leurrait-il. Peut-être qu’elle passait tous les moments où elle n’était pas avec lui avec une autre personne. Son sang se glaça. Puis il se secoua mentalement. Non. Mais qu’est-ce qui lui prenait ? Il devait vraiment être mal pour penser ça d’elle. Il s’en voulut. Très fort. Comment pouvait-il douter d’elle ? Il posa ses yeux sur sa silhouette et il respira plus lentement. C’était que… Il avait tellement l’impression d’être un poids pour elle. Comme s’il ne faisait que lui apporter des ennuis par sa seule présence… Il soupira. Mais en même temps, elle était quand même près de lui en ce moment. Et ils allaient se revoir à Pré-au-Lard. C’était tout ce qui comptait. Il aimait tant passer du temps avec elle. Il aurait tout donné pour pouvoir passer sa vie à côté d’elle.

Il ne se rendit pas compte que l’orage éclatait dehors jusqu’à ce que Lily sursaute dans son sommeil. Il se pencha vivement sur elle, posant sa main sur son épaule. Leurs visages étaient tout près et Severus put voir un peu d’étonnement dans le regard de son amie. Il ne parvint à se détacher de son regard que quand elle prit la parole, rompant le silence entre eux. Heureusement, elle ne sembla pas s’en apercevoir. Il se recula et la regarda se rasseoir sur sa chaise et amener ses jambes contre elle, les enserrant de ses bras. Elle tourna la tête vers la fenêtre et il vit qu’elle tremblait un peu. Il parla doucement, comme pour la rassurer.

Même si cela ne me fait plus peur, je trouve toujours que c’est très impressionnant.

Il jeta un coup d’œil vers elle en biais et vit qu’elle le fixait à présent. Il continua.

On est tellement insignifiants à côté de ça, c’est hallucinant.

Il se tut, laissant le silence reprendre sa place entre eux. Il tissait un lien imperceptible entre leurs deux corps, comme s’il les unissait sans qu’ils en aient conscience. Ils regardaient tous deux la pluie tomber à grosses gouttes sur le Parc de Poudlard et ses environs. La chaleur des heures précédentes s’était évanouie en même temps que l’ondée était arrivée. Cependant, il régnait toujours une atmosphère pesante, caractéristique des chaudes journées d’été. L’ambiance était lourde et ils le ressentaient de manière accrue.

Délaissant la fenêtre, il se leva pour attraper un livre et se mit à parcourir négligemment les pages de l’ouvrage, sans vraiment faire attention à ce qu’il lisait, se servant du livre pour penser à autre chose. Ses pensées négatives l’énervaient et il ne savait pas comment y faire face…

L’ambiance était particulière, trop particulière d’ailleurs. Lily frémissait sous l’électricité qui se propageait assidûment dans la pièce alors que les éclairs embrasaient l’horizon en de multiples reprises dont les intervalles semblaient s’amoindrir. Elle observa Severus se lever de sa propre chaise, un air étrange lui dérangeait ses traits généralement impassibles. Un pli courrait sur son épiderme entre sa paire de sourcils. Ce n’était certes pas un bon signe. La jeune rouquine amorça un geste pour le retenir, elle ne voulait absolument pas qu’il l’abandonne seule dans ce pan de la bibliothèque avec pour unique compagnie des grondements assourdissants émanant d’un ciel torturé. En vérité, elle était plus terrifiée qu’il ne l’imaginait et surtout que ce qu’elle lui laissait entrevoir. Sa phobie avait prit racine dans son enfance sans qu’elle s’en souvienne pourquoi. Sa main se noua au vide, elle n’avait pas été assez rapide. Le jeune serpentard fit quelques pas avant de se poster face à une étagère, il en sortit un livre quelconque et le feuilleta. Il semblait perturbé alors que les filaments survoltés, nés du temps houleux, emprisonnaient Lily dans une crainte croissante. Fébrile, elle rejoignit Severus et jeta un œil sur l’ouvrage qu’il avait pioché par-dessus son bras. Son visage était figé sur une expression tourmentée ce qui n’améliora en rien l’angoisse qui tenait son corps pour otage. Tel un pantin, elle ne contrôlait plus sa frayeur ni ses muscles.

L’obscurité emplit soudainement l’endroit, les nuages devenaient noirs, menaçants. La tension exercée sur Lily fut partagée en deux issues différentes, l’une était reliées étroitement à ses appréhensions vis-à-vis de l’orage et l’autre de nature inconnue. La proximité de son meilleur ami devenait évidente dans cette atmosphère ténébreuse et condensée d’électricité. Sa présence bien que rassurante, prenait une ampleur démesurée. Comme si elle prenait conscience qu’ils étaient seuls. Elle évalua sa taille d’un vague regard. Elle ne s’était pas rendue compte à quel point il avait grandi et fortifié en quelques années. Il ne ressemblait plus tout à fait au petit garçon maigrelet qui l’avait un jour espionné.
Lily se sentit alors minuscule, insignifiante face à Severus dont la seule existence engloutissait le lieu pour le réduire à sa seule personne. C’était du moins ce que ressentait Lily en cet instant. Elle se sentit bizarre, fiévreuse et sa respiration en devenait quasi chimérique. La silhouette de Severus couvrait entièrement son être alors que son odeur se répandait à allure folle dans la pièce, que son souffle mourrait dans l’air dans une mesure constante, que ses yeux fouillaient les lignes du bouquin à rythme constant, que ses doigts effleuraient le papier avec délicatesse.

Un éclair superposé d’un rugissement tonitruant surprit Lily dans sa rêverie au point qu’elle s’accrocha au bras gauche de Severus et enfouit son visage dans le tissu qui composé la chemise de son meilleur ami. Haletante, elle ne fit plus aucun bruit mais s’agrippait si fort à la chair de son ami qu’elle s’étonna qu’il ne lui fasse pas remarqué. Les vitres vibraient sous la puissance des grondements qui suivirent, l’orage planait sur le château. Severus tenta un mouvement que Lily lui empêcha de réaliser. Elle se clouait à la chaleur que dégageait Severus, à son arôme, à la douceur de sa chemise contre son visage. Severus retenta un geste mais Lily ne le laissa pas faire, déterminée à rester là, accrochée à son bras gauche bien qu’elle ne connaisse son intention.

Désolée, je suis paralysée.

Severus feuilletait le livre, lisant des lignes par-ci par-là, sans vraiment s’intéresser au contenu. Lire le calmait. Le fait d’avoir un ouvrage en main, c’était comme s’il lui transmettait toute sa haine et toutes ses craintes. L’obscurité se répandait maintenant sur la pièce mais il continuait à lire, fronçant des paupières pour déchiffrer tous les mots. Il n’entendait plus le tonnerre qui grondait dehors, il n’avait même plus envie de savoir où il était. Il essayait de se vider la tête et c’était tout. Tournant les pages à un rythme régulier, il laissait son corps se détendre de tous ses tracas. Sa respiration devint plus lente et régulière.

Il sursauta légèrement quand il sentit qu’on lui agrippait le bras gauche. Il prit quelques secondes pour se rappeler où il était et se détendit quand il vit qui lui avait attrapé la manche. Il observa son visage. Lily avait l’air terrorisée. Est-ce l’orage qui lui faisait tant peur ? Elle lui tenait le bras de manière possessive, ses doigts se crispant convulsivement autour de lui. Il ne dit rien lorsqu’elle le tint encore plus serré, ne ressentant aucune douleur. C’était étrange de l’avoir si près de lui. Il sentait son odeur si particulière et cela le troubla un instant. Il amorça un geste pour passer son bras derrière elle mais elle l’en empêcha. Elle devait vraiment être mal pour agir de la sorte. Il retenta un autre mouvement mais elle ne voulut rien entendre et rester clouer à son bras, comme s’il s’agissait de la seule chose qui pouvait la sauver. Elle murmura alors quelque chose. Il fallait qu’elle se détende. Il fallait qu’il la rassure. Mais il était bien le dernier à savoir quoi faire pour consoler les gens ! Il n’avait pas la bonté de Lily envers les autres et il n’accordait que peu d’importance aux personnes qu’il côtoyait tous les jours. Mais il se rappela alors que c’était sa meilleure amie qui avait besoin d’aide et qu’il était le seul à pouvoir lui en apporter. D’ailleurs, n’était-elle pas la première – et la seule – à être là lorsqu’il en avait besoin ? Il se devait de lui rendre la pareille pour toutes les fois où elle avait été à son écoute…

Il reposa alors le livre qu’il tenait sur l’étagère et mit sa main sur les cheveux de Lily, les caressant inconsciemment, comme il avait tant voulu le faire quelques instants plus tôt. Il appuya sa joue sur son front, respirant son parfum féminin. Il avait l’air de vouloir la calmer elle, alors qu’en fait, il se demandait si ce n’était pas elle qui calmait ses angoisses. Encore une fois, il constata à quel point ils étaient étroitement liés. Ils restèrent quelques minutes dans cette position. Severus se sentait extrêmement calme et apaisé, loin des vicissitudes du monde extérieur. Sans qu’il en prenne conscience, Lily s’était retrouvée presque dans ses bras. Il s’en rendit compte alors qu’elle replaçait sa tête un peu plus contre son torse, dans un geste instinctif. Il laissa retomber sa main qu’il avait mise dans ses cheveux et écarta son corps du sien. Il ne voulait pas qu’elle interprète mal son attitude. Elle releva la tête vers lui et il lui fit un mince sourire crispé et désolé avant de fixer son regard ailleurs. Il sentit qu’elle se détachait de lui.

Il regarda par la fenêtre. L’orage s’éloignait. On entendait encore quelques coups de tonnerre au loin mais le pire était passé. Il reprit le livre qu’il avait posé négligemment sur l’étagère et le remit à sa place parmi les autres. Il se tourna finalement à nouveau vers Lily. Il avait peur de l’avoir troublée par son comportement mais c’était venu inconsciemment, alors qu’il cherchait comment la réconforter… Il fut un peu rassuré en voyant qu’elle lui souriait. Il rompit alors le silence, ne sachant que faire.

Tu veux qu’on reste ici ? Nous pouvons nous en aller si tu te sens mieux ailleurs.

Il avait lâché la phrase sans y penser. Il ne lui dit pas que lui se sentait bien n’importe où tant qu’elle était avec lui. Il ne lui dit pas que sa présence était tout ce qui comptait. Il ne lui dit pas qu’il s’était senti bien quand elle était près de lui. Il ne lui dit pas qu’il avait envie qu’elle revienne se blottir près de lui. Il ne lui dit pas tout ça. Parce qu’il avait peur. Et que cela le rongeait. Bien plus qu’il ne voulait l’admettre. Les choses étaient en train de changer. Et il ne pouvait rien faire. Ou alors parce qu’il ne voulait rien faire. Où était la nuance ? Y en avait-il seulement une ?

Un léger froissement lui apprit qu’il avait reposé son ouvrage. Etait-il en colère ? Lily se mordit la langue priant pour qu’il n’entre pas dans une de ces fureurs sans nom. Après tout, elle lui enfonçait presque ses ongles dans sa peau et elle réquisitionnait son bras sans aucune gêne apparente. Elle s’apprêtait à reculer tant elle croyait qu’il vivait mal cette soudaine proximité, lui qui fuyait tout contact humain avec les autres, pourquoi serait-elle privilégiée ? Lily n’osait imaginer quelles pensées pouvaient courir dans l’esprit emmêlé de son meilleur ami. Ne venait-elle pas de briser son intimité de manière incongrue ? Est-ce que tout cela faisait parti de l’amitié ? Est-ce que Severus songer à cela de cette manière ? Peut être la méprisait-elle…

Cependant.

Ses doigts effleurèrent lentement sa chevelure comme si ils avaient été taillés pour s’y loger, sa joue prit son front pour unique compagnon et son corps entier se rapprochait du sien. Lily perdit le souffle. Lily perdit la notion d’espace, de temps, de raison. Elle n’eut pas le souvenir qu’ils aient été aussi proches physiquement et que Severus eut été aussi tendre avec elle. Elle ne savait plus pourquoi elle s’était sentie aussi dévastée l’instant d’avant. Mais elle savait désormais que leur étreinte maladroite la préservait du monde, de ces cauchemars, rien n’aurait pu les atteindre. La solitude évanouie, la souffrance avortée.
Ressentait-il ce qui l’envahissait ? Elle méconnaissait ces sensations, ces frissons, cette chaleur qui flottait autour de leur être. L’évidence s’infiltrait, elle pouvait la sentir longeait ses veines, sentir son épiderme se mouvoir mais elle ne l’atteignait pas encore. Lily chercha à se blottir contre le torse son meilleur ami tentant de comprendre le trouble qui grimpait en elle. Comme elle aurait aimé qu’il referme ses bras autour d’elle afin qu’ils se confondent en une unique existence. Qu’il lui fasse totalement oublier le lieu, le moment, les raisons.

Deux mains s’emparèrent de sa carrure. Lily rouvrit les yeux, permettant au monde extérieur de s’immerger dans sa réalité.

Il la repoussa délicatement, lui offrit un sourire à peine ébaucher et entreprit d’éviter son regard. Lily s’écarta de ce semblant de rêve pour ne pas user d’avantage de la patience de Severus. Pour se faire pardonner, elle lui sourit tandis que la tiédeur de Severus consumait encore sa peau. Elle aurait voulu retenir, récolter quelques morceaux de ces étincelles qui grésillaient encore sur son épiderme. Elle mit un sacré moment avant de permettre aux sons qui émanait de Severus de prendre un sens logique, une phonétique connue. Lily balbutia.

Je… non… Ici, ça va. A moins que tu ne veuilles aller ailleurs ?

Lily enchaîna soudainement mais les mots sortaient rauques du tréfonds de sa gorge.

Merci… De m’avoir rassurée.

Elle soutint ses prunelles et se permit même de passer ses doigts sur le bras de son meilleur ami pour analyser les dégâts qu’elle avait pu lui occasionner.

Je ne t’ai pas fait mal ?

Comme elle aurait aimé saisir ce qui leur arriver… Ce qu’il provoquait chez elle… Ce qu’il pensait de tout cela… Avait-il aussi peur qu’elle de ce qu’il venait de se passer ? La seule chose dont Lily pouvait prétendre savoir ce que Severus Snape occupait une place prépondérante dans sa vie et ce depuis bien longtemps.

Il sourit intérieurement lorsqu’il l’entendit balbutier. Mais cela le troubla aussi. Avait-elle, elle aussi, ressenti l’étrangeté de ce qui venait de leur arriver ? Il ne savait comment qualifier cela. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il voulait bien recommencer quand elle voulait. Mais depuis quand écoutait-il son cœur plutôt que sa raison ? Sa raison lui dictait de faire attention. Il entrait en terrain inconnu. Et il n’avait pas envie de souffrir. Pas envie de la perdre. Sans elle, il n’était rien. Et ils le savaient tous les deux. Si elle le voulait, elle pouvait le détruire avec tant de facilité…

Non, je préfère rester ici. C’est un endroit que j’aime.

Il fut surpris quand elle le remercia de l’avoir rassurée. Ça lui avait paru normal sur le moment. Elle le faisait pour lui et il était normal qu’il agisse de la même manière avec elle.

Il ne put s’empêcher de frissonner quand elle passa ses doigts fins sur son bras. Il ressentait encore la texture de ses cheveux sur sa paume et il pouvait encore humer son parfum. Elle avait laissé sa marque sur sa peau, sur ses vêtements, sur son corps entier et même sur son âme. Mais il réalisa qu’elle y était depuis bien longtemps déjà. Elle était, par sa seule présence, sa lumière et son sourire. Et rien ne pourrait faire changer ça. Il crispa la mâchoire mais lui sourit néanmoins.

Ne t’inquiète pas, je n’ai rien senti.

Et c’était vrai. Il avait été tellement plongé dans une bulle avec elle qu’il ne s’était pas rendu compte qu’elle lui serrait le bras. Pendant quelques minutes, ils restèrent tous deux dans leurs pensées, s’interrogeant en silence sur cette sensation qu’ils avaient éprouvée un instant auparavant. Severus se secoua. Pourquoi gâcher de précieuses secondes à cogiter alors qu’il pouvait être avec elle en ce moment et que le futur était incertain ? Il consulta l’horloge au mur.

La bibliothèque ferme à 20H, on a encore largement le temps. Viens avec moi, dit-il en souriant.

Lily le regarda étrangement. Mais lui se sentait grisé par quelque chose d’indicible. Il lui attrapa la main et s’éloigna vivement de l’endroit où ils se trouvaient jusqu’à présent. Il ne la sentit pas serrer sa main plus fermement, irradiant tout son corps. Il les guida à travers plusieurs couloirs d’étagères remplies de livres jusqu’au plafond. Ils dépassèrent la section d’invisibilité, celle des informations sur les dragons, sur la généalogie, sur la métamorphose… Soudain, Severus s’arrêta. Il laissa à Lily le temps de regarder où il les avait menés. Une lueur passa dans ses yeux quand elle reconnut le rayon "Histoire". Elle l’interrogea du regard. Il s’avança vers la table qui jouxtait cette section de la bibliothèque et la fit s’asseoir. Il la quitta un instant pour aller chercher un livre dans l’étagère à côté de lui. Lorsqu’il eut trouvé ce qu’il cherchait, il le lui apporta. Elle s’en saisit, toujours perplexe. Il jugea enfin bon de s’expliquer.

C’était en première année. Tu étais assise ici même avec ce livre. L’Histoire de Poudlard. Tu ne m’avais pas vu, j’étais arrivé en silence.

Lily eut un petit rire et il sut alors qu’elle se rappelait de ce moment. Il s’assit en face d’elle et continua son récit.

Lorsque tu m’as aperçu, tu as vite refermé ton livre. Je t’avais tout conté de Poudlard avant de l’intégrer mais il avait quand même fallu que tu viennes lire ce livre dès que tu avais pu pour voir s’il y avait des détails que j’avais omis. Tu te souviens à quel point nous avons ri de cette situation, toi croyant que je serais fâché et moi ne pouvant m’empêcher de rigoler devant une attitude qui était tellement tienne ?

Il marqua une pause, riant légèrement. Lily riait aussi.

Cela me semble tellement loin à présent. Mais dès que je passe par ici, cette scène me revient en tête et je me prends à rire, comme si tu étais à côté de moi.

Il plongea ses yeux noirs dans son regard émeraude, comme s’il voulait s’y perdre. C’était peut-être le cas.

Tu vois, j’aime la bibliothèque grâce à ses souvenirs… avec toi.

Il avait murmuré les derniers mots et il n’était pas sûr que Lily les ait entendus, malgré le fait qu’elle ait les yeux plongés dans les siens. Mais peut-être valait-il mieux qu’elle ne les ait pas entendus. Pour éviter de compliquer leur relation. Mais malgré tout, Severus espérait que ce ne soit pas le cas. Parfois, la vie était plus intéressante lorsqu’elle était compliquée…

En replongeant quelques années en arrière, Lily se rappela à quel point la simplicité de leur relation leur permettait d’acquérir une insouciance absolue dans leur contact. Les yeux de la jeune fille fouillèrent ceux de son meilleur ami alors qu’il murmurait quelques mots à peine audible. La gryffondor dû se concentrer étroitement pour en saisir la teneur et quand les mots la percutèrent enfin, elle s’empara instinctivement de la main que Severus avait posée sur la table. Comme pour s’assurer que sa présence et ses paroles n’étaient pas éphémères ou fictives. Elle cherchait à palper leurs émotions, les discerner alors qu’elle emprisonnait la main de son ami dans la sienne. Leur regard devint plus tendre, plus doux alors que les souvenirs fourmillaient leurs lèvres.

Les heures filèrent, ils parlaient d’eux, d’elle, de lui dans ce pan de la bibliothèque abritant un morceau de leur histoire. Mme Pince les chassa quand 20h crépitait à peine dans une hâte indécente. Ils quittèrent à regret leur sphère aux allures de pensine pour rejoindre la fraicheur du couloir. Une fois confiné dans l’atmosphère sombre et réduite du couloir, Lily prit conscience de ce qu’il allait s’en suivre très rapidement. Elle baissa les yeux sur le sol, sa cage thoracique se mouvait douloureusement comme si deux mains se cramponnaient à ses poumons et les griffaient de toute part. Elle déglutit difficilement puis fit face au visage cireux de Severus qui était impénétrable et dénudé d'expressions

Je refuse de retourner dans mon dortoir Sev’. Je ne veux pas… je ne peux pas te laisser… Qui sait quand nous aurons l’occasion de nous revoir comme ça.

Un long moment s’en suivit sans que son meilleur ami ne lui offre le moindre chuchotement et ils se dévisagèrent dans la pénombre grandissante. Seules leurs prunelles brillaient tandis que leurs âmes se confondaient lentement. L’intensité de cette soudaine intimité était renforcée par l’espace réduit et le peu de lumière qu’offraient les chandelles à cette heure de la soirée. Ils étaient seuls dans cette aile, tous les élèves avaient normalement rejoint leur dortoir comme il était exigé du règlement. Est-ce que Severus allait balayer la demande mi avouée de Lily ? Quelques pas et des grognements outrés les ramenèrent à l’instant présent. Rusard se rapprochait de leur emplacement. Un coin d’ombre pouvait les masquer un peu plus loin de leur position, un renfoncement imprévu cabossait le mur à cet endroit mais grâce à la nuit, personne ne pouvait le discerner. Lily poussa Severus dans cette direction et l’obligea à s’accoler au mur pendant qu’elle se posait à son côté mais fut obligée de constater qu’elle était encore en partie dans la lumière. Déjà gênée par sa proximité avec Severus, elle se résigna à ne pas empiéter davantage les limites corporelles de son meilleur ami, qu’elle connaissait pour être extrêmement distant à tout contact physique. Elle était à moitié à découvert et Rusard se rapprochait. Lily se mordit la lèvre et s’apprêtait à se faire prendre par ce concierge aigri alors qu’elle décidait de s’éloigner de Severus pour ne pas que lui aussi ait des problémes.

Une main agrippa sa taille et la força à se coller contre quelque chose, quelqu’un. Des bras l’entouraient, la serraient. Severus lui inocula à l’oreille l’ordre de ne pas bouger. Inutile de préciser que ce n’était pas dans son intention. Lily ferma les paupières doucement et enlaça à son tour celui qui venait de la sauver d’un châtiment certain. Cette fois-ci, leur étreinte n’était pas à demi exécutée, Lily Evans reposait au creux de ses bras. Elle sentit Severus se figeait visiblement perturbé par le geste qu’elle venait d’exécuter. Ils coupèrent leur respiration quand Argus Rusard passa devant eux. Des flux électriques nouaient les deux amis, les faisaient presque frémir et Lily savait pertinemment que ces frissons à demi amorcé, n’étaient pas engendré par la présence du concierge.
La jeune gryffondor appréciait le bruit constant de leur battement de cœur qui se mêlait perceptiblement. Les martèlements de leur organe aortique étaient répétés, puissant et vrombissant dans leur poitrine. Ils s’affolaient avec la même allure.

Lily Evans se sentait complète et entière alors qu’elle se mêlait à l’existence de Severus Snape dans une étreinte interdite.

Severus ne vit pas le temps passer, perdu dans ses souvenirs communs avec Lily, les évoquant avec tendresse et nostalgie. Sa main reposait dans celle de son amie, puisant sa chaleur et sa douceur, comme s’il ne pouvait s’en repaître. Il vit Mme Pince venir les chasser et il se leva, comme dans un rêve, suivant Lily dans le couloir sombre. La fraîcheur de l’atmosphère le frappa et il cligna des yeux, sortant de son état de demi-conscience.

Les lieux étaient vides, débarrassés des étudiants qui avaient tous rejoint leur salle commune et leur dortoir. Ils étaient seuls et devaient normalement rejoindre eux aussi leurs dortoirs, s’ils ne voulaient pas enfreindre le règlement. Lorsque Lily murmura quelques mots, les battements de son cœur s’accélérèrent imperceptiblement. Il ne répondit pas tout de suite, la fixant comme s’il la voyait pour la première fois. Les ombres qui grandissaient formaient un halo autour d’elle, la noyant dans une atmosphère ténébreuse dont seuls ses yeux ressortaient avec force. Deux éclats verts dans la noirceur de la nuit. Severus riva ses yeux aux siens et il fut incapable de s’en détacher.

Jusqu’à ce que Rusard arrive sans prévenir. Lily le poussa contre un renfoncement dans le mur pour les cacher aux yeux du concierge. Elle se plaça à côté de lui mais Severus vit qu’elle était encore visible et que Rusard ne tarderait pas à la découvrir. Alors qu’elle s’éloignait de lui, comme pour avorter cette tentative pour se cacher, il la saisit par la taille et la colla contre lui, l’enserrant de ses bras. Il se pencha sur son oreille pour lui murmurer de ne pas faire un bruit, son nez effleurant ses cheveux. Il tressaillit lorsqu’elle passa ses bras autour de lui. Ils étaient collés l’un contre l’autre, perdus dans l’ombre de la nuit qui les enveloppait et les protégeait. Sans s’en rendre compte, Severus ferma les paupières lentement et se sentit noyé dans le parfum de Lily, noyé dans ses bras, noyé dans ce corps qui reposait tout contre lui. Il n’avait jamais été aussi proche de quelqu’un, jamais. Il avait peur de ces moments intimes, ne sachant comment agir. Mais il aurait dû savoir qu’avec Lily, il ne devait pas se poser de questions. Tout lui venait naturellement.

Sans qu’ils s’en aperçoivent, Rusard était passé devant eux et avait quitté le couloir depuis quelques minutes déjà. Severus ouvrit les yeux et guetta le moindre bruit dans le couloir. Tout était calme. Il tenait toujours Lily dans ses bras, celle-ci ne s’étant pas écartée. Il continua à la serrer tout contre lui, ne désirant plus la lâcher. Il se sentait étrangement bien. Soudain lui revinrent en tête les paroles qu’avait prononcées Lily avant que le concierge n’arrive. Il n’avait pas envie de la laisser non plus. Mais ils n’allaient quand même pas traîner dans les couloirs toute la nuit…

Lily, murmura-t-il en se penchant sur elle.

La jeune fille releva la tête vers lui, rivant ses prunelles aux siennes. Sans rien préméditer, il posa son front sur le sien. Elle parut surprise de son geste. Après tout, il l’était aussi mais il ne voulait pas se poser de questions. Il était perdu au fond de son regard émeraude et tout lui semblait soudain sans intérêt, à côté de ses yeux qui adoucissaient son âme perturbée. Il était perdu dans son monde à elle et il lui cédait tout pouvoir de bonne grâce. Elle était sa lumière dans la nuit et pour cela, il la remerciait sans dire un mot. Les mots n’avaient plus d’importance. Leurs souffles étaient calmes et posés. Severus eut néanmoins un mouvement et chuchota.

Nous ne devons pas rester ici. Rusard va revenir.

En disant cela, il lui signifiait qu’il acceptait ce qu’elle avait dit auparavant et qu’elle était libre de choisir. Oui, il lui cédait tout pouvoir. Et c’était la première fois qu’il laissait quelqu’un envahir son espace vital à ce point. C’était étrange. Et en même temps tellement grisant. Surtout que c’était Elle et personne d’autre.

Leurs fragrances s’étaient mêlées, molécules après molécules, elles s’étaient étreintes dans un silence suspendu. Pourtant, la jeune fille aurait juré n’inhaler que celle de son meilleur ami en de longue bouffée mesurée. Elle sentait contre elle, ce corps si familier et si méconnu à la fois. Le moindre frisson qui courrait sa peau lui était transmis, le moindre souffle le traversant, chaque sentiment lui était palpable, réel. Serrée contre son cœur, elle le ressentait plus humain que jamais. Englué dans des arts noirs pourtant mais il restait, Lui, cet être fragile, énigmatique, blessé, attendrissant, sincère. Sous ses doigts glissaient cette personne, contre sa poitrine son existence cognait et dans son esprit, son arôme flottait pour s’emparer de sa chair. Enveloppée par ces deux bras, protégée de l’extérieur, bercée de l’intérieur, Lily frôlait les débuts d’un songe. Et si… Entre elle et Severus, tout se compliquait mais pas de la manière dont elle l’avait envisagé. Une douce alternative qu’elle gardait sous clé. Il ne fallait peut être pas y fondé trop d’espoirs. Troublée, oui. Amoureuse ? Rien qu’entendre le mot raisonner au fond de ses entrailles, elle eut un drôle de vertige. Jamais. Elle… Tomber sous les flèches d’un ange capricieux… Elle ne savait pas quel goût tout cela empruntait, quel chemin cela suivait et encore moins comment en acquérir la certitude. Fallait-il fuir ? Fallait-il crier ? Ou juste. Se poser, ressentir ?
Elle releva le menton en quête de réponses et s’égara davantage. Pourquoi ne prononçait-il pas son prénom une seconde fois pour qu’elle analyse ses étincelles ? Juste une dernière fois, du bout des lèvres comme il savait le faire de son ténor un peu enroué.

Lily ne réfléchissait plus un seul instant quand le front de son meilleur ami s’accola au sien. Surprise, déstabilisée, elle avait perdu toute direction, tout repaire. Où seulement la conduisait-il dans ce méandre effiloché, emmêlé de sensations. Leur souffle se confondait désormais, les détails de son visage crayonnés à jamais dans ses souvenirs. Les ombres jouaient sur son épiderme créant des contrastes sur sa bouche, la rendant plus proche, plus accessible. Elle s’ouvrit sur quelques paroles semblant censées, réfléchies. Oui, il avait sûrement raison. Mais qu’avait-il dit exactement ? Intoxiquée. Lily devenait incohérente.
Elle aurait voulu crisper davantage ces doigts sur sa prise lorsqu’elle prit avec un semblant de logique ce qui venait d’être murmurer par son ami. Elle allait trouver un endroit et peu importe lequel, mais cette nuit ne la séparerait pas de lui. Pas aujourd’hui. Pas après ces moments d’absences. Elle voulait comprendre.
A regrets, elle se détacha de cette intimité pour guider Severus dans le dédale du château, le menant au seul endroit imprenable. La salle sur demande.

Une des découvertes de Potter qui avait été pour le coup intéressante et si il ne s’était pas obstiné à le fanfaronner dans la salle commune, elle ne l’aurait peut être jamais soupçonné son existence. Severus la connaissait également, sûrement. Lily atteint la porte et projeta ses envies sans même y porter un temps de réflexion afin que la porte apparaisse selon son bon souhait. Ils s’y engouffrèrent, le tout sans un mot.

Le ciel étoilé semblait fidèle en tout point, l’herbe s’allongeait sous leur pied, quelques arbres au froissement régulier, un petit ruisseau pour traversai l’ensemble, roucoulant. Un globe qui la replongea bien des années en arrière.
Elle avait partagée ce coin de campagne une nuit d’Eté avec Severus alors qu’il avait fui en hâte sa maison lors d’une des disputes les plus violents entre ces parents. Lily et lui avaient passé cette nuit ensemble à contempler les astres- avec le consentement parental pour elle, bien sûr.

La jeune gryffondor ôta ses chaussures puis ses chaussettes pour piétiner le sol, caressait la nature, chatouiller ses sens. Elle s’allongea dans l’étendue verdâtre, laissant sa crinière inonder dans des éclats flamboyants la verdure offerte par cette pièce enchantée. Ces constellations scintillaient pour eux ce soir, cela était une évidence. Tant de lumières pour éclairer leur morceau de vie, tant de témoins. N'était ce pas un appel?
Un pan de rêves s’offrait à eux. Une nuit entière pour percer ces mystères ou du moins, tenter d’en effleurer la solution. La solution ? Etait-ce réellement un problème ?

Lily scruta Severus depuis le fond de son âme.

Et si ce soir, tu ne me quittais pas ?

Il se laissa guider parmi les couloirs endormis de Poudlard. Lily avait l’air de savoir où elle allait et il la regardait flotter devant lui, sûre d’elle, comme toujours. Elle s’arrêta devant un mur et Severus reconnut la Salle sur Demande. Après être passée trois fois devant, elle y pénétra et il la suivit, se demandant à quoi elle avait pensé avant de l’ouvrir.

Il eut un choc qu’il essaya de masquer en rentrant dans la Salle. Tout était comme dans son souvenir. Et pourtant, il s’agissait d’un souvenir tellement lointain. Il avait voulu oublier la souffrance qui était la sienne lorsque ses parents se disputaient. Il pensait que c’était sa faute. Qu’il avait encore mal agi. Mais il ne savait pas ce qu’il avait fait pour qu’ils se disputent aussi violemment. Il avait écouté en silence et en pleurant leurs éclats de voix. Le ton avait rapidement monté. Et il n’avait pu le supporter. Il avait fui. C’était le soir. La nuit tombait. Il avait couru jusque chez Lily et, ensemble, ils étaient partis dans le champ derrière chez elle pour observer les étoiles. Ils y étaient restés très longtemps, allongés dans l’herbe, les yeux noyés dans l’immensité du ciel. Un souvenir calme et heureux, comme seuls Lily savait les faire.

Le souvenir disparut pour laisser place à la réalité. Son amie s’était déchaussée et marchait à présent dans l’herbe avant de s’y allonger. Il la rejoignit, mais s’allongea sur le ventre, s’appuyant sur ses coudes pour pouvoir la regarder. Elle le fixa alors et lorsqu’elle parla, sa voix n’était qu’un murmure. Il eut un mince sourire et il lui répondit d’un ton joueur :

Seulement si tu ne me quittes pas.

Puis il reprit d’un ton plus sérieux, pour bien lui faire comprendre ce qu’il avait voulu dire par là.

Si j’en avais l’intention, cela ferait longtemps que je serais parti.

Disant cela, il se retourna et s’allongea sur le dos, tout contre elle mais en gardant une distance minimum pour ne pas qu’elle se sente mal. Il ne savait pas ce qui se passait exactement entre eux. C’était sa meilleure amie. Et c’était tout. Tu te mens à toi-même Severus. Ses gestes plus tôt ne pouvaient pas être laissés de côté. Il avait agi naturellement, sans penser à rien. Que devait-il penser de tout cela ? Et Lily ? Qu’en pensait-elle ? Il eut envie de mettre sa tête contre son épaule, presque au creux de son cou, mais il se retint. Il allait falloir qu’ils apprivoisent cette nouvelle situation. Cela n’allait sûrement pas être facile. Le changement. C’était bien quelque chose qu’il n’aimait pas. Il ne prenait conscience des petites habitudes de sa vie que quand il était sur le point de les perdre ou de devoir les changer. Et c’était dans ces moments-là qu’il remarquait qu’il n’avait jamais aimé le changement. Déjà à son arrivée à Poudlard, toutes ses habitudes avaient été bouleversées : finis les moments de liberté qu’il s’octroyait en allant se promener seul loin de chez lui, finie sa solitude qu’il aimait plus que tout, fini le droit de faire ce qu’il voulait quand il était seul et surtout, finis les instants magiques passés avec Lily. Il avait haï Poudlard. Il lui avait enlevé tout ce qu’il avait. Oui, il l’avait haï de toute son âme. Et il avait déversé cette haine sur le monde qui l’entourait, permettant par là aux autres de le haïr à leur tour et de l’éviter. Mais tout était prévu d’avance. C’était comme ça que cela allait se passer. Il le savait. C’était obligatoire. Dès que le mot « Serpentard » était sorti du Choixpeau Magique. Cela avait scellé son destin. Et là, Lily était revenue vers lui. Et elle lui offrait une échappatoire. Allait-il la saisir tout en sachant que ses nouvelles habitudes allaient être bouleversées à leur tour ? Severus soupira. Il ne savait pas ce qu’il devait faire.

Il se mit à observer les étoiles, et se rendit compte à ce moment-là que la tête de Lily avait roulé sur le côté gauche et qu’elle avait les yeux mi-fermés. Elle le fixait à travers ses paupières d’un air étrange. Severus fronça les sourcils. A quoi pensait-elle en le regardant ? Il lui sourit mais son sourire était crispé, ne sachant déchiffrer son expression. Il y avait trop de tension en ce moment. C’était étrange. Tout était trop étrange. Il avait besoin de réfléchir et il se sentait vidé et en même temps rempli de foules de choses nouvelles. Il regarda à nouveau les étoiles et il sentit la fatigue des derniers jours se déverser en lui sans prévenir. Il était vrai qu’il n’avait pas beaucoup dormi ces temps-ci… Il était trop tourmenté pour ça. Tellement de conflits, de faux-semblants. C’était trop pour lui. Ses yeux se fermèrent tous seuls mais il les rouvrit rapidement et observa Lily.

Excuse-moi, je suis un peu fatigué. Je ne dors pas beaucoup depuis quelques jours.

Les premières minutes dans leur abri furent déstabilisantes, ils tâtaient un terrain inconnu, méconnaissaient l’Avenir. Lily couvait son ami des yeux se demandant ce qui l’animait depuis qu’elle l’avait amené en ces lieux. Mais cela lui crevait le cœur, elle avait tant besoin de lui. Plus qu’il ne pouvait imaginer. Elle détourna les yeux juste un instant pour reprendre un semblant de souffle, de raison peut être ? Mais qu’est ce que ces songes tentaient de capter dans leur filet empoisonné?
La rouquine s’autorisa un regard en biais, allongeant son champ de vision à l’ensemble de sa silhouette pour mieux cerner dans quel état Severus était incrusté ici, avec elle et leur distance presque absurde tant elle semblait minime.
Elle abandonna définitivement l’air de cette bulle pour s’abreuver de la plus attirante, la plus captivante, celle qui vous saisit le larynx. L’arôme de son meilleur ami à nouveau l’apaisait dans cette anarchie aortique.
Ils s’échangèrent à peine l’esquisse d’un regard puis celui-ci sembla s’assoupir avant de s’excuser. Le coin de ses lèvres s’éleva en un sourire compatissant et tout en exécutant ce rictus, Lily reporta son attention sur l’immensité nocturne dénudée ce soir de démons noctambules. Tout était si calme au point que sa voix froissait à peine l’air en un murmure grésillant. Chaque syllabe grimpait sur l’écorce des arbres, s’insinuait dans leur sève les faisant frémir. Une sphère fragile où chaque molécule exposait sa vulnérabilité à l’écrasante infinité de l’Univers. Le cosmos laissait entrevoir sa horde d’habitant parsemé en diverses traînées d’étincelles, ils étaient immergés dans leur réalité. Comment pouvait-on se sentir seul alors qu’on avait pour voisin de palier, un ciel constitué d’un peuple présent clamant leur beauté, répandant sur les âmes les plus écorchées les lueurs les plus douces, les plus rassurantes ?

Tu n’as pas à t’excuser voyons ! N’hésite pas… Je veux dire, si tu veux t’endormir. Tu peux. Je vieillerais sur toi… Puis ta présence me suffit.

Après que les mots soient morts dans l’atmosphère, un frisson parcouru l’échine de la jeune fille, comme un rappel. Comme un mauvais réveil.
La gryffondor s’arracha à ses émotions tout en se relevant lentement. L’angoisse embrumait déjà ses muscles, crispant ses espoirs en de futiles aspirations négligées.
Lily, engloutie par le cadre, oublia de rationaliser.
Severus, son meilleur ami. Sacrifier cette amitié pour quelque chose qui n’avait pas la certitude d’être un plus, un mieux. Elle se mit debout en des gestes machinales, mécaniques, s’écarta de Severus et alla s’adosser au tronc le plus proche.

La peur la prenait en otage, bloquait ses mouvements. Captive de ses moindres désirs, elle demeurait pantin désarticulé entre des doigts vaniteux et oppressants. L’anxiété peut parfois mener les êtres les plus censés sur des sentiers inquiétants amenant à l’appréhension, la détresse et l’égarement. Les sentiers ne se prêtent pas toujours à vos empreintes mais pourtant, vous vous frayez des passages au point d’en tordre la cheville, d’en couper le petit orteil. Manipulé par cette émotion, on ne cherche plus après les trottoirs, douce échappatoire.
Lily était calé entre une trace et le rebord. Depuis sa parcelle d’ombre, elle observait Severus, les prunelles fendues de divagation et de futur nébuleux.
Sa bouche est instable sur les mots qu’elle aimerait chuchoter. Elle sent vibrer sa détermination mais également sa fatalité entre la commissure de ses lèvres.

Je ne sais pas, si… Tout ça, c’est approprié.

Elle regretta déjà d’embrouiller la situation par ces actions et ces paroles. Elle s’en voulait déjà de provoquer un trouble supplémentaire chez son ami épuisé. Mais ce qui la faisait souffrir le plus, c’était d’avorté ses propres envies sous l’impulsion d’un affolement. Lily s’enfonça les ongles dans la paume de ses mains pour ne pas s’enfuir d’ici. Elle venait de briser la moindre once de mystère qu’arboraient le lieu, l’heure et sa présence.
Elle fracassait avec un soin dès plus dément, cette ambiance et ce bien être. Toutes ces atrocités au nom de la nouveauté, de ces récents contacts si proches qui n’allait peut-être amener qu’à un néant défini.

Mais c’était ce peut-être qui l’avait mené là.
Et c’est ce même peut-être qui la poussait à se tenir là.
Peut-être toujours que les jours à venir seraient différents. Positivement.